L'Arche de Zoé
Le jour se lève. Il ne fait pas chaud ce matin. La petite Zoé marche dans les ruelles qui lui paraissent bien mornes. Sa vision grise de la ville n’est que bitume, immeubles, feux tricolores, enseignes lumineuses, panneaux publicitaires, voitures bruyantes, camions polluants. Quelle morosité, cette image de la vie ! pense-t-elle. Aussi, chaque matin, en se rendant à l’école, puis le soir en rentrant, elle chemine lentement en examinant les trottoirs, les murs, les pavés, le bord des ponts, les poteaux électriques et même les bouches d’égouts dans l’espoir de dénicher ne serait-ce qu’un tout petit brin d’herbe. Quelle joie ce serait de découvrir une trace de vie égayée de couleurs. Le soir, avant de dormir, elle s’imagine danser dans un champ parsemé d’une multitude de fleurs aux teintes de l’arc-en-ciel. Cela la remplit de bonheur et accroît l’espoir que demain sera plus chanceux qu’aujourd’hui. Mais jour après jour, toujours rien. En vain.
Un beau matin, alors qu’elle va faire une course pour sa maman, une pièce de monnaie tombe de sa main et roule jusqu’à l’abri bus. Elle se précipite pour la ramasser. En regardant de plus près, ses yeux deviennent si brillants qu’une larme coule le long de sa joue. Elle vient de trouver ce qu’elle recherche depuis tant d’années : la vie colorée s’est enfin manifestée sous la forme d’une marguerite bien jaune en son centre et blanchement ailée tout autour. Elle sort de sa poche une petite boîte n’ayant jamais servi mais dont l’extérieur est usé à force de la bichonner. Elle y enferme précieusement la marguerite, puis se dépêche de rentrer chez elle pour la glisser dans un joli petit vase. Chaque matin, elle la caresse des yeux et part en quête, persévérante, pleine de fougue.
De temps en temps, elle trouve une ou deux branches de bruyère, un trèfle par ci, de la mousse par là. Adolescente, un jeune garçon lui offre un cadeau : un bouquet de muguet ! Le présent est tellement sublime à ses yeux qu’elle l’embrasse sur la joue et s’enfuit pour le mettre en lieu sûr.
Petit à petit, avec une détermination sans faille et énormément de patience, Zoé collecte des échantillons de vie de toutes sortes. C’est ainsi que, le jour de ses vingt ans, elle ouvre la porte de sa maison et dépose sur le seuil une sculpture géante composée de roses multicolores sur laquelle on peut lire : “Donnez-vous la peine d’entrer dans l’Arche de Zoé”. Les passants, admiratifs devant cette œuvre d’art, ne peuvent résister à la tentation. Ils pénètrent, passent le couloir et accèdent à la cour intérieure. Là, quelle n'est pas l’émotion ressentie ! Jamais ils n’ont osé imaginer une vue si agréable, si paisible, si magnifique. Quelle merveille ce jardin extraordinaire, tellement harmonieux, aussi coloré qu’enivrant. La triste ville abrite enfin en son sein un coeur éclatant de vie que seule la volonté acharnée d’une petite fille devenue femme aujourd’hui a fait naître.
Encore de nos jours, on se souvient de Zoé, la battante, qui, sans relâche durant des années, a su créer un monde illuminé de couleurs étincelantes afin d'embellir la vie de tout un chacun. Si, toi aussi, tu souhaites visiter ce jardin enchanté, ferme les yeux et plonge dans de jolis rêves enluminés qui te mèneront vers l’Arche de Zoé.