Chapitre 4


La fête annuelle du château


Par cette belle soirée d'été, commence enfin la fête annuelle du château de Toul An Hery. Le Roi et la Reine Barbe se sont préparés à accueillir les invités venus de tous les coins du royaume de Plistin. La Reine est vêtue de noir afin de camoufler au maximum sa barbe.


- "Hogolo !", crie la Reine Barbe. "Abaisse le pont levis pour les invités. Dépêche-toi !"

- "Je m'en vais de suite tourner la roue, ma bien aimée Reine".

Aussitôt, Hogolo court vers le pont levis. Tout en tournant la roue permettant de l'abaisser, il murmure dans sa moustache : "J'en ai plein les bottes ! Un de ces jours, je m'en vais lui mettre des bigoudis dans sa barbe. Cela la rendra peut-être plus aimable".


Les invités entrent dans le château flottant. En franchissant l'énorme porte, ils aperçoivent au-dessus une grande banderole avec l'inscription : "BIENVENUE À LA NUIT DE LA SAUCISSE". Ils sont des milliers. Il y a des médecins, des sorciers, des magiciens. L'ambiance est festive, tout le monde danse, la musique se joue si fort que même Efflam l'entend de sa maison.

Après le repas, la Reine Barde demande le silence et dit : "Parmi cette assemblée, quelqu'un a-t-il trouvé un remède pour me guérir ?". Mais personne ne répond. La Reine lance encore d'une voix plus forte : "Parmi toute cette assemblée, quelqu'un a-t-il trouvé un remède miraculeux pour me guérir ?". Dans le fond du château, on voit un homme vêtu de toutes les couleurs s'approcher de la Reine Barbe. Cet homme n'est autre que le saltimbanque Kérilly.


- "Je pense avoir un remède pour vous, ma Reine"

- "Mais tu n'es pas l'un de mes invités. Tu fais partie des artistes censés nous amuser", répond la Reine.

- "En effet, je suis le saltimbanque Kérilly, mais je suis aussi magicien".

- "Puisque tu es le seul à me proposer quelque chose, je t'écoute".

- "Je peux vous mijoter une potion qui, si elle est correctement dosée, pourrait certainement vous guérir, ma Reine"


La Reine Barbe est très surprise car Kérilly semble être sûr de lui.


- "Je t'ordonne de préparer cette potion", dit la Reine d'un ton ferme.

- "Pour y arriver, j'ai besoin de certains ingrédients culinaires", répond Kérilly.

- "Que l'on fasse appeler notre cuisinier Krampouz !", hurle la Reine Barbe.

Krampouz arrive devant Kérilly et prépare au fur et à mesure les ingrédients prescrits : une échalote coupée en petits morceaux, une queue de maquereau trempée dans de l'huile bouillante, du sel provenant du port de Toul An Hery, une moustache de chauve-souris, un peu d'algue bien verte, du lait de brebis tiède, un moustique de la taille d'un pouce et ... une carotte toute orange. Subitement, Krampouz s'exclame :


- "Mais ma Reine, suite à la sécheresse de ces derniers jours, il n'y a plus aucune carotte dans tout le royaume !".


Après quelques secondes de réflexion, la Reine Barbe ordonne :


- "Que l'on prépare un bateau ! Mon valet Hogolo traversera les mers pour aller m'en chercher dans un autre royaume".


Hogolo commence déjà à ronchonner dans sa moustache quand Kérilly dit :


- "Il est inutile de traverser les mers. J'ai mon ami Efflam qui habite près d'ici et qui vous fera la grâce de vous en apporter une".

- "Que l'on selle un cheval ! Hogolo ira me faire chercher cet homme", dit la Reine Barbe.

A cheval au galop, Hogolo s'en va en grognant entre ses dents : "Non d'un kouign amann non sucré ! J'en ai déjà mal aux fesses rien que d'y penser !". Il arrive chez Efflam et lui explique ce qu'il en est. Aussitôt, Efflam se rend au château sur le dos de son âne Fanfan. Tous les invités le laissent passer, d'un air moqueur en voyant ses vêtements salis par la terre et son âne en guise de cheval.


- "Je vous salue, mon bon Roi, ma charmante Reine et ma belle Princesse. Je m'appelle Efflam. Je me suis précipité à vos pieds dès que j'ai su que vous m'aviez fait demander".


Au premier coup d'œil, la Princesse Anne reconnaît celui qui lui a offert cette jolie rose qu'elle a mise dans ses cheveux dorés.


- "Je te remercie Efflam. As-tu apporté ce que mon valet t'a demandé ?" dit la Reine Barbe.

- "Oui, voici la plus belle de mes carottes, une carotte bien longue et très colorée"


Efflam donne la carotte à Krampouz qui prépare la potion comme lui indique Kérilly. Après dix minutes, la potion est prête. Kérilly s'approche de la Reine Barbe et lui dit :


- "Voici la potion, ma Reine. Buvez la"

- "J'espère qu'elle ne me rendra pas malade car sinon tu auras droit à cent coups de bâtons"


La Reine Barbe boit. Quelques secondes se passent et comme par magie, la barbe noire de la Reine se rétrécit. Toute l'assemblée est ébahie. La barbe continue de se rétrécir de plus en plus jusqu'au point qu'elle disparaît complètement laissant apparaître pour la première fois le visage de la Reine. Le Roi en a le souffle coupé. La Reine, très bouleversée, reste assise quelques instants sur sa chaise, puis dit haut et fort : "Que l'on m'apporte ma trousse royale !". Aussitôt, Hogolo se met à parcourir les couloirs du château jusqu'à la chambre de la Reine et revient avec la trousse royale. La Reine l'ouvre d'un geste délicat et y sort un miroir, le seul autorisé au château. Enfin, elle s'y regarde toute émue. Des larmes de joie coulent sur son visage si doux qu'elle voit pour la première fois. La malédiction du sorcier Mellec s'en est enfin allée.

Après s'être remise de ses émotions, la Reine s'adresse à Kérilly.


- "Kérilly, je te remercie pour ta potion miraculeuse. Que souhaites-tu que je fasse pour toi ? Je t'offre tout ce que tu veux de mon royaume".


- "Je vous remercie, ma Reine. J'aimerais un nouveau chapeau multicolore car le mien se fait vieux, ainsi qu'un kilogramme de noisettes pour mon petit ami Penker".


- "Suis mon valet Hogolo qui te procurera ce dont tu as demandé", répond la Reine.


- "Et toi, Efflam, que souhaiterais-tu ? Je t'offre tout ce que tu veux de mon royaume".


Efflam réfléchit et pense que deux chevaux l'aideraient beaucoup pour labourer son immense champ. Mais en regardant la belle Princesse Anne qui lui sourit, il dit à la Reine d'un ton hésitant :


- "Je souhaiterais épouser votre fille".


En entendant ces mots, la Reine se met dans une colère terrible.


- "Mais que croyez-vous jeune homme ! Que j'accorderais la main de ma fille au premier paysan venu ! Seul un homme vêtu d'un habit brodé d'or et se déplaçant dans un carrosse orné d'argent avec deux magnifiques chevaux pourra épouser ma chère et tendre enfant, mais il me semble que tu ne correspondes pas à la description avec tes vêtements sales et ton âne".


Aussitôt que la Reine finit de parler, toute la foule se met à rire. Efflam devient triste et gêné de voir tous ces gens se moquer ainsi de lui. La Reine dit alors d'un ton méchant :


-"Tu peux rentrer chez toi sans rien avoir en retour. Comme tu as aidé à ma guérison, tu ne recevras pas cent coups de bâton bien que tu le mérites pour ton arrogance".


Efflam repart affligé sur le dos de son âne et sous les rires des invités de la Reine.


- "Que la fête continue jusqu'au petit matin !", crie la Reine à la foule joyeuse.