Les enquêtes de l'inspecteur Chovay

Un ami d'enfance

Chapitre 10



Depuis trente minutes, l'inspecteur Chovay était dans sa chambre à préparer minutieusement ce qui allait contribuer à prouver la culpabilité de son suspect présumé responsable du drame joué au château. Il s’y prenait délicatement à l’aide de gants afin que lui-même ne fût pas victime de son subterfuge. Sa sacoche contenait tout le matériel dont il avait besoin pour mener à bien ses enquêtes. Le journal emprunté à Jeanne fut une aubaine. Une fois terminé, il glissa délicatement dans sa poche intérieure les deux objets confectionnés. Puis, il descendit pour interroger son ami d’enfance afin d’obtenir les dernières réponses. Il le trouva dans son bureau à téléphoner pour ses affaires.


_ Bonjour Marcel. Je suis content de te voir malgré les circonstances et le motif de ta visite.

_ Bonjour Hervé. J’aurais besoin que tu répondes à quelques questions.

_ Je suis tout à toi.

_ As-tu réfléchi au sujet des lettres anonymes depuis notre dernière entrevue samedi après-midi ? Sais-tu qui est derrière tout ça et pourquoi ?

_ J’ai beau y penser et y repenser, je ne vois pas la raison pour laquelle on m’a menacé de me faire du mal si je m’obstinais à voir mon ami. Et finalement, je n’ai rien eu et c’est Pierre qui s’est fait tuer. C’est à n’y plus rien comprendre.

_ D’après mes souvenirs, tu es un fin gourmet, n’est-ce pas ?

_ En effet, répondit le comte surpris et un peu décontenancé par ce changement radical de sujet. Je ne te suis pas trop. Que cela a-t-il à voir avec l’enquête ?

_ J’y viens, sur un ton assuré répondit l’inspecteur. Jeanne m’a affirmé que tu ne t’occupais jamais de la préparation des menus.

_ En effet, ce n’est vraiment pas mon domaine, sauf pour les déguster, dit-il d’un air amusé.

_ Dans ce cas, explique-moi pourquoi samedi lorsque tu es revenu de ta promenade à cheval, tu m’as quitté précipitamment en prétextant que tu devais t’occuper du déjeuner à venir.

_ Euh … Es-tu certain de m’avoir bien compris ?

_ Tout à fait. Je te rappelle que les petits détails font partie de mon métier.

_ J’ai dû me faire mal comprendre alors.

_ Permets-moi de te dire ma pensée. Tu as reçu la première lettre de menace le samedi deux juin, puis la deuxième le samedi seize juin, soit deux semaines exactement après. Samedi, nous étions le trente juin, quatorze jours se sont écoulés depuis. Tu es parti sans véritable raison juste après avoir ouvert une lettre après le passage du facteur. J’en déduis que cette lettre ne fut pas quelconque, mais une troisième lettre de menace. Ma question est donc la suivante : pourquoi ne me l’as-tu pas montrée ? Que renferme-t-elle ?


Le comte resta silencieux, l'air contrarié. Une fois de plus, il eut une démonstration de la puissance intellectuelle de son ami, mais cette fois-ci à son encontre. Que devait-il faire ? Lui mentir ? Il le détecterait immédiatement et il risquerait de perdre son estime.


_ J’avoue. Tu as parfaitement raison. J’ai en effet reçu samedi une troisième lettre que voici.


Il la sortit de son tiroir et la remit à Chovay. Extérieurement, elle était identique aux deux autres. Il l’ouvrit et la lut :


“ Le docteur est l’amant de ta femme.

Alors chasse-le d’ici.

Sinon tu en paieras le prix fort.”


Le comte fut donc au courant de la liaison que sa femme entrenait avec son ami le docteur avant qu’il ne soit assassiné. L’inspecteur comprit alors que cela faisait de lui un suspect potentiel.


_ Qu’as-tu éprouvé en lisant cette lettre ?

_ De la colère ! Oui, j’étais furieux ! J’ai à la fois été trahi par la femme que j’aime et par mon ami à qui je livre tous mes secrets.

_ Es-tu à l’origine du malheur qui a frappé cette maison ?

_ Que vas-tu imaginer ? ! Certainement pas. Sur le coup, j’aurais tout cassé, mais après m’être calmé, je me suis repris et ai analysé la situation. Avant de faire quoi que ce soit, je voulais avoir une discussion avec mon épouse et Pierre afin de tirer le vrai du faux. Après tout, peut-être que cette lettre n’est qu’un tissu de mensonge dans le seul but que je chasse Pierre d’ici.

_ Comme tu dis. Il est bien étrange, qu’en décortiquant le contenu de ces trois lettres, l’intention finale est toujours la même : empêcher le docteur de franchir les portes du château. Vois-tu quelqu’un, ici-même dans cette demeure, ayant un motif pour interdire ton ami d’y venir ?

_ Non, je n’en ai aucune idée.

_ Moi si. Je commence à comprendre pourquoi ces menaces ont débuté il y a environ un mois. Parlons peu, mais parlons bien.


L’inspecteur commença à chuchoter à l’oreille du comte. Après deux minutes, le comte s’emporta :


_ Mais non, cela ne peut pas être elle ! Je la connais mieux que toi !

_ Parle moins fort, je t’en prie. On pourrait nous entendre. Je le sais, mais tu dois exécuter mon plan pour prouver son innocence.


Après avoir entendu les arguments de l’inspecteur, le comte de Joncan se ravisa et accepta le stratagème imaginé par Chovay. L’inspecteur quitta le bureau et alla se promener dans les jardins afin de faire le point sur la situation. Toutes les pistes menaient dorénavant vers une seule et même personne : tout concordait, plus de doute possible. Seul point noir : le mobile. Il eut beau relire ses notes, extrapoler les hypothèses, imaginer de nouveaux scenarii, il se heurtait constamment à un mur. “Il me manque une information”, pensa-t-il, “mais je suis persuadé que lui seul connait la réponse, encore faudra-t-il qu’il accepte de me la donner. La seule et unique façon de le lui faire avouer est de lui prouver que notre suspect est bel et bien coupable”.


Subitement, son téléphone émit un bip-bip. Il jeta un œil sur l’écran : “Mission accomplie. Les appâts ont été déposés. HdJ”. L’inspecteur, le sourire en coin, lança tout haut : “Echec”.