Extraits du journal de Robert Dubois

13 novembre 1918

J’ai dix ans





Bonsoir mon petit journal,


Ce matin, je n'ai pas été réveillé par maman, Pierre ou Georges, mais par le bébé veau. Il pleurait tellement pour appeler sa maman qu’on l’entendait sûrement jusqu’au bourg. Elle est morte hier quand il est né.


Aujourd’hui, a été un grand jour pour la commune car tout le monde a fêté l’amistif ou bien l’aristice. Je ne sais pas trop bien le mot, mais les grands m’ont dit que ça voulait dire la fin de la guerre. Monsieur le maire avait annoncé hier qu’il y aurait une grande fête aujourd’hui. Tout le monde s’est bien habillé pour y aller. Maman a mis une robe rouge que je ne connaissais pas, mes frères et moi des habits tout propres. Tata Marie a mis une jupe verte avec un gilet beige. Ma cousine Pauline était vraiment jolie avec sa robe bleue et les belles fleurs dessinées dessus. Henri portait un pantalon et une veste noirs. Oncle Paul avait un beau costume. Ça m'a fait bizarre de le voir ainsi. Ça le change de ses vêtements de la ferme. Je me demande si son costume n'était pas magique ou bien ensorcelé car il n’a pas crié une seule fois et je l’ai même entendu parler calmement. Avant de partir, je suis allé dire bonjour à mamie Joséphine pour lui montrer comment j’étais bien habillé.


Quand nous sommes arrivés au bourg, la fanfare jouait des musiques qui donnaient envie de danser et chanter. Il y avait beaucoup de monde. Monsieur le maire a invité les villageois à manger les cochons grillés et des patates. Alors j’ai commencé à chercher. Avec cette foule, ce n’était pas facile. J’ai regardé partout, parmi les gens à table, à la buvette, les danseurs et aussi ceux qui préparaient à manger. Mais je n’ai pas trouvé. Alors j’ai cherché maman pour qu’elle m’aide. Elle était à rire avec des amis. Je lui ai donc demandé où était papa. Elle m’a regardé d’un air étrange sans rien dire. Alors je lui ai redemandé : “mais où est papa ?”. Elle a baissé la tête en me disant qu’il ne viendrait pas. Je n'ai pas compris pourquoi car la guerre est terminée, donc il peut rentrer maintenant. Elle a bredouillé en me disant que papa est mort et qu’elle me l’a déjà dit. Oui, je le sais bien, mais comme la guerre est finie, il peut revenir avec nous. Alors elle s’est mise à pleurer en me serrant fort contre elle et elle m’a dit : “Je crois Robert que tu n’as pas bien compris ou alors c’est moi qui t’ai mal expliqué. Quand une personne meurt, alors elle va dans les étoiles très loin sans pouvoir revenir. Elle nous regarde de là-haut tous les soirs. Toi aussi, tu peux la voir en regardant les étoiles briller. Je te demande de me pardonner. Je croyais que tu avais compris”.


Quand j’ai réalisé ce que maman m’a expliqué, alors je me suis mis à tousser, à avoir du mal à respirer, mes yeux ont commencé à couler. Je n’ai pas trop su ce qu’il m’arrivait. Alors je me suis enfui. J’ai couru le plus loin et le plus vite possible jusqu’à être épuisé. Je me suis endormi dans l’herbe. Quand je me suis réveillé, la nuit tombait. J’ai regardé les étoiles et j’ai vu l’une d’elles qui brillait plus que les autres. J’ai soudain eu une envie irrésistible de hurler. J’ai crié de toutes mes forces en direction de cette étoile : “Je t’aime papa. Au revoir”.


Maintenant que je sais que les morts sont séparés des vivants, demain j’irai l’expliquer au bébé veau. Je pense qu’il sera moins triste que moi car lui n'a pas vu les autres rire et s'amuser à la fête sans une larme en regardant les étoiles.