Les enquêtes de l'inspecteur Chovay

Un ami d'enfance

Chapitre 2



Ayant pris ses aises dans ses appartements, l’inspecteur descendit peu avant midi et aperçut le comte de Jocan qui était revenu de sa promenade à cheval. “Comment vas-tu Hervé ?” cria de loin l’inspecteur. Le comte se retourna et reconnut son ami Marcel. Il s’extasia de le voir et se dépêcha de le rejoindre.


_ Ah ! Tu es arrivé ! Personne ne m’a encore prévenu. Mais il est vrai que je reviens seulement des écuries. As-tu vu Jeanne qui s’impatientait depuis hier de te revoir ?

_ Oui, elle m’a accueilli et je me suis installé dans ma chambre.

_ Je suis très heureux que tu viennes passer le week-end en notre compagnie.

_ Moi encore plus. Cela me rappelle mes jeunes années.

_ Que le temps passe vite ! Aujourd’hui, mes études sont si loin derrière moi. Je n’y pense même plus.

_ Ton travail d’homme d’affaires t'accapare tellement. Et moi, je suis constamment plongé dans des enquêtes.


Soudain, du fond de la cour, on entendit un klaxon. Il fut aisé de deviner qui arrivait dans sa voiture jaune. Le facteur venait déposer, comme tous les matins, le courrier. Il remit au comte trois enveloppes et s’en alla. Ce dernier y jeta un coup d'œil rapide : “Encore des factures ! Toujours des factures !” dit-il d’un air blagueur. Tout en continuant la conversation, il ouvrit la troisième enveloppe et la lut rapidement.


_ Jeanne m’a dit que tu avais une invitée célèbre ce week-end ?

_ Quoi ? … Que dis-tu ? répondit le comte l’air ailleurs, donnant l’impression de ne pas écouter.

_ N’as-tu pas invité madame Vidal, une écrivaine ?

_ Ah oui, j’avais oublié. En effet, elle passe le week-end ici. C’est une amie de ma femme. Mais je t’en parlerai plus tard. Je dois maintenant m’occuper de donner des ordres pour le repas de ce midi. A tout à l’heure.


Le comte quitta précipitamment son ami qui fut très surpris de son changement de comportement. Mais après tout Hervé avait sûrement beaucoup à faire pour satisfaire tous ses invités.


Peu de temps après, la voix de la comtesse se fit entendre tout haut. Elle appela son mari, l’inspecteur et Sarah Vidal pour le déjeuner. Chacun arriva autour de la table. “Prenez place et honorez le succulent repas imaginé par moi-même et préparé par notre cuisinière Isabelle”, dit la comtesse. Ce fut un régal.


L’inspecteur fit la connaissance de madame Vidal. C’était une femme très élégante. Son visage dégageait la sérénité et la passion de la vie. Elle paraissait timide. A ses premières paroles, il fut visible qu’elle possédait une grande culture générale. L'inspecteur apprit qu’elle avait écrit des dizaines de romans dont une quinzaine était des best-sellers vendus dans le monde entier. Il fut gêné de ne jamais en avoir entendu parler. Il apprit également qu’elle était une amie d’enfance de Jeanne, tout comme lui et le comte. Après quelques minutes en sa compagnie, il assimila cette apparente timidité plus à de la modestie.


Après le déjeuner, Hervé invita son ami à visiter son immense bibliothèque située tout au bout du couloir dans le hall d’entrée. L’inspecteur fut étonné de la richesse de celle-ci. C’était la troisième bibliothèque qu’il vit au château, mais c’était la plus grande de toutes. Elle contenait tous les genres de littérature qu’on aurait trouvés dans les plus illustres bibliothèques du pays.


_ Qu’en dis-tu ? demanda le comte.

_ Je n’ai jamais vu une bibliothèque personnelle aussi fournie. Tu as dû en passer du temps à l’enrichir de tous ces livres.

_ Oui, ma femme et moi sommes amoureux des livres. A chacun de nos voyages, on en déniche de nouveaux et de toutes sortes. Mais maintenant que tu es là, j’aimerais changer de conversation.

_ De quoi voudrais-tu que nous parlions ?

_ Je souhaiterais t’entretenir d’une affaire personnelle très délicate. J’aurais besoin de ton aide car cela est dans tes cordes.

_ Le ton de ta voix et tes paroles commencent à m'inquiéter.

_ Voilà ce qu’il m’arrive.


Le comte sortit de sa poche intérieure deux enveloppes. Il remit la première à l’inspecteur.


_ Voici une première lettre anonyme que j’ai reçue le deux juin, il y a un mois.


L’inspecteur examina l’extérieur : seuls le nom et l’adresse du comte y sont inscrits de façon manuscrite donnant l’impression d’une personne à l’écriture hésitante. Le timbre fut somme toute classique et oblitéré à la poste d’Yffiniac. Il l'ouvrit et découvrit un texte élaboré à l’aide de lettres découpées dans les journaux :


“ Ton ami le docteur est en réalité un

ennemi. Il cherche à te nuire et il vaut

mieux que tu cesses de le voir.”


_ Ce corbeau te tutoie. Il semble te connaître. De quel docteur parle-t-il ? demanda l’inspecteur.

_ Il fait sûrement référence à mon ami le docteur Pierre Henry. Mais je ne comprends pas qu’il me mette en garde contre lui. On se connaît depuis des décennies.

_ Y a-t-il quelque chose qui a changé entre vous dernièrement ou bien as-tu remarqué une évolution dans son attitude ?

_ Non, je ne vois pas. Rien de ce genre. Il est mon ami et mon docteur. Il est également mon conseiller en affaires : officieusement bien sûr. Je lui expose mes transactions et il me propose plusieurs voies possibles dans leurs gestions. Mais je suis le seul à prendre la décision.

_ As-tu dernièrement eu un contrat plus délicat que d’ordinaire ?

_ Non, rien de bien difficile. Voici la deuxième lettre que j’ai reçue deux semaines après, le seize juin.


Après l’avoir également examinée, l’inspecteur reconnut la même calligraphie tremblante. A l’ouverture de celle-ci, le message indiqua :


“ Cesse de fréquenter ce docteur qui

cherche à te détruire. Si tu n'obéis pas,

il pourrait t’arriver malheur. ”


Le message était clair : une lettre de menace ! L’inspecteur resta dubitatif quelques secondes, puis leva la tête en direction du comte.


_ C’est très inquiétant.

_ C’est pourquoi lorsque je t’ai vu hier au café, j’ai eu l’idée de t’inviter pour t’en parler.

_ Pourquoi n’as-tu pas prévenu la police ?

_ Je ne sais pas. J’ai pensé qu’il s’agissait sûrement d’un mauvais plaisantin. J’ai toute confiance en mon ami.

_ En as-tu parlé avec lui ?

_ Non. Mais ce soir, je te le présenterai.

_ J’ai hâte de faire sa connaissance et on en saura peut-être un peu plus.

_ Je te demanderai d’agir dans la discrétion. Je te le demande par amitié et comme un service. Je ne voudrais pas que cela devienne une enquête officielle. Cela pourrait porter préjudice à mon image et donc à mes affaires.

_ Je te le promets. Aie confiance. Mais …


L’inspecteur resta une dizaine de secondes sans rien dire en fixant droit les yeux du comte.


_ Pourquoi me dévisages-tu ainsi ?! s’offusqua le comte.

_ Je te devine ...

_ Encore cette satanée intuition ! Mais je t’ai dit la vérité ! Arrête ça !

_ Le quartier dans lequel je vis est constitué en très grande partie d’habitations et de quelques petits commerces. Il n’y a aucun bureau, aucune entreprise marchande à moins d’un kilomètre. Alors comment se fait-il que tu aies été dans le coin pour tes affaires ? Je me pose la question. A vrai dire, j’ai le sentiment que notre rencontre d’hier n’était sûrement pas fortuite.

_ Toujours le même ! Toujours à réfléchir aux moindres petits détails qui assemblés les uns aux autres te mènent à des conclusions que nul autre aurait découvert. Quelle perspicacité ! Je l’avoue. J’attendais que tu sortes de chez toi pour te demander ton aide concernant cette affaire délicate.

_ Je m’en doutais. Ton invitation n’était pas due au hasard.