Les enquêtes de l'inspecteur Chovay

Un ami d'enfance

Chapitre 9



En effet, l’inspecteur Chovay trouva Serge de Joncan dans la petite bibliothèque. Il était en plein travail d’écriture à une table sur laquelle étaient disposés plusieurs ouvrages. Sa concentration fut telle qu’il ne se rendit pas compte que l’inspecteur se tenait à une distance d’un mètre de lui.


_ Bonjour, j’espère ne pas vous déranger en pareil moment.


Serge sursauta en entendant ces mots.


_ Bonjour, vous arrivez sans prévenir et sans bruit tel un aigle se jetant sur sa proie !

_ Je vous prie de m’excuser de vous avoir effrayé. Je souhaiterais vous entretenir du décès du docteur Henry.

_ Si cela peut vous distraire, pourquoi pas, répondit Serge avec dédain.

_ Quand chacun d’entre nous a quitté la salle à manger, qu’avez-vous fait ?

_ Je suis resté assis tranquillement à finir mon verre.

_ Pourquoi n’avez-vous pas pris part à la recherche du docteur ?

_ Je vous retourne la question : pourquoi aurais-je dû le faire ?

_ Le docteur ne vous semblait-il pas être légèrement mal en point pour justifier un déplacement de votre part ?

_ Le docteur souffrant ? Je n’en ai pas eu l’impression. De plus, le plus apte à soigner quelqu’un, c’est bien le docteur lui-même ! s’exclama-t-il dans un éclat de rire.

_ Vous donnez l’impression d’être une personne froide, sans compassion. Se pourrait-il que ce sentiment trouve son origine dans une forme de jalousie ou de mépris que vous portiez à l'encontre du docteur.

_ Une forme de jalousie ou de mépris ? Qu’allez-vous donc imaginer ? Il n’avait rien qui me faisait envie et je ne peux mépriser un être aussi médiocre, répondit Serge ironiquement. NON ! cria-t-il sans prévenir. Je le détestais à un tel point !

_ Pourriez-vous m’en donner la raison ?

_ Peu importe ! Je ne puis vous l’expliquer, je ne le sais pas moi-même. Plus je le voyais, plus grande était ma haine à son égard.


En relisant ses notes sur ce que lui avait relaté Isabelle concernant Serge, l’inspecteur Chovay pressentit un simulacre de la personnalité car tout contredisait la psychologie de l’individu qu’il s’en était faite. Aussi, étant plutôt perspicace en ce domaine, il feignit de rentrer dans son jeu pour mieux le démasquer.


_ Je vous cite : “Vous le détestiez à un tel point”. Oui, à un tel point que vous l’avez assassiné ! Vous n’êtes pas, comme vous le prétendez, resté seul dans la pièce pendant que chacun d’entre nous fouillait le château à la recherche du docteur. Non ! Vous aussi, vous vous êtes mis en tête de le trouver et surtout avant tout le monde, ce que vous avez fort bien réussi, et sans crier gare, avec le sang-froid d’un être sans scrupule nourri par une haine incommensurable, vous l’avez poignardé. Puis vous êtes retourné sur votre chaise comme un lion va se reposer après avoir massacré et mangé sa proie.

_ Mais vous … vous affabulez, bégaya-t-il.

_ Quel cynisme vous reflétez ! Il existe peu d’hommes dans ce monde qui laisseraient sa chère et tendre se laisser manger par les loups à sa place !

_ Que voulez-vous dire ? Je ne comprends pas.

_ Qui a trouvé le cadavre en premier ? Votre femme. Était-elle seule sur les lieux ? Oui. Aurait-elle pu tromper son monde par un cri de frayeur ? Certainement. Que pensez-vous qu’un juge puisse statuer à son sujet ? Vraisemblablement qu’elle est coupable.

_ Mais non, Sophie n’a pas tué le docteur ! Ce n’est pas une meurtrière !

_ Nous le savons tous les deux puisque c’est vous le funeste criminel ! Je vous arrête pour le meurtre de Pierre Henry. Tendez-moi vos mains.


L’inspecteur sortit ses menottes pour les lui passer et comme il l’avait subodoré, sans surprise, Serge craqua.


_ Non, je n’ai pas tué le docteur ! Je vous prie de me croire inspecteur. J’ai menti sur mes sentiments à son égard. Je ne l’ai jamais détesté.

_ Vous imaginez réellement que je vais vous croire alors que tout vous accuse. Il me faudra autre chose que des paroles sans fondement.

_ Tout cela est à cause de Sophie.

_ Et en plus, vous chargez votre femme ! Quel ignoble individu vous êtes !

_ Je veux dire que je prétendais maudire Pierre dans le seul but de calmer Sophie. Quand elle était à mes côtés, je simulais, je faisais semblant de le détester.

_ Pourquoi donc ?

_ Sophie me reprochait d’être faible envers mon père. Il ne voulait pas augmenter ma rente mensuelle sur les conseils du docteur. Je n’en ai que faire de cette augmentation, mais elle me menaçait de me quitter. Alors oui, je suis coupable de lâcheté, mais pas de meurtre.


L’inspecteur eut confirmation des dires d’Isabelle et ne douta plus de Serge.


_ Calmez-vous maintenant. Je vous crois. Nous allons en rester là. Je range les menottes. Reprenez votre travail. Je vous laisse. Mais ne quittez pas le château sans m’en avoir informé. Au revoir.

_ Au revoir, inspecteur, dit Serge tout timoré.


L’inspecteur descendit au rez-de-chaussée pour se rendre dans le jardin. Soudain, son téléphone sonna. C’était enfin son adjoint Tournier qui lui apprendrait peut-être de nouvelles informations.


_ Allo Michel ? Quoi de neuf ?

_ Bonjour inspecteur. Rodolphe confirme bien qu’il était au téléphone avec son frère samedi entre 22h et 22h20. Ce qui est également certifié par les relevés de leur téléphone.

_ Tant mieux. Cela m’aurait chagriné qu’il puisse être l’assassin. Mais il me cache quand même quelque chose. Tôt ou tard, je le saurai.

_ Pour la banque, c’est plus compliqué : le directeur a accepté de me révéler que le couple dépense beaucoup d’argent chaque mois, mais ne veut pas m’indiquer un ordre de grandeur. J’en saurai plus cet après-midi.

_ Quoi d’autres ?


Pendant que Tournier continuait son rapport à l’inspecteur, non loin de là dans une des chambres voisines, on chuchota au téléphone :


_ Jure-moi que tu n’as rien à voir avec la mort du docteur.

_ ………………………………………………………………..

_ Non, en effet, je ne vois pas la raison pour laquelle tu l’aurais fait.

_ ………………………………………………………………..

_ D’accord, je te crois.

_ ………………………………………………………………..

_ Je raccroche. Quelqu’un pourrait nous entendre.


Quand la conversation téléphonique avec son adjoint fut finie, l’inspecteur Chovay resta sans bouger, les yeux fixant le vide. Tournier venait de lui confier une information primordiale. Ses méninges se mirent à s’agiter jusqu’à ébullition. Il tenait enfin son coupable. Il repassait les images dans sa tête, mais un point ne cadrait pas : l’heure du crime ! Alors il se mit à réfléchir en passant et repassant tous les témoignages, les allers et venues de chacun, la durée des parcours, mais rien n’y faisait, l’heure du crime ne concordait pas avec le déroulement des évènements. Alors, convaincu de la rationalité de son raisonnement, l’inspecteur prit la décision indubitablement logique de déplacer dans le temps le moment où eut lieu le crime : tout à coup, ce fut l’illumination. Il s’était trompé depuis le départ ! Il s’en voulut de ne pas avoir été capable de déceler cette piste. Le puzzle se mit alors en place : quand le docteur fut assassiné, comment eut lieu le meurtre, l’énigme de la disparition de l’arme du crime s'expliqua également. Tout devint limpide … enfin presque. Pourquoi donc avoir agi ainsi ? Quel était son mobile ? Cela lui échappait encore. Dernier point important : comment confondre le meurtrier ? Le faire avouer ? Etant donné son profil, cela était mission impossible. L’inspecteur eut alors une idée : piéger l’assassin.