Les enquêtes de l'inspecteur Chovay

Un ami d'enfance

Chapitre 11



Lundi, en début d’après-midi, deux voitures de police entrèrent dans la propriété. Le commissaire Lambert sortit de l’une d’elles accompagné de cinq policiers en uniforme. L’inspecteur, prévenu par Clémence, se rendit à sa rencontre. Il ne fut pas enchanté de cette visite impromptue.


_ Commissaire Lambert ? Je ne vous attendais pas. Vous avez du nouveau ?

_ Bonjour lieutenant Chovay. C’est tout l’inverse ! J’interviens en l’absence de résultat de votre part ! L’affaire est extrêmement sensible. Plus que sur des œufs, nous marchons sur des braises. Le préfet attend de nous des résultats dans les plus brefs délais.

_ Je fais de mon mieux pour débusquer le coupable, rétorqua Chovay.

_ Il faut faire mieux que mieux. Je suis ici pour ça. Dites-moi ce que vous avez appris depuis hier ?

_ Je pense que Serge de Joncan n’a pas l’étoffe pour avoir exécuté le docteur. L’alibi d’Emilien est validé : il était effectivement au téléphone avec son frère au moment du meurtre. Isabelle, la cuisinière, était seule également mais la distance qui la séparait de la scène du drame est trop éloignée pour qu’elle eût le temps de perpétrer le crime.

_ Donc la seule suspecte possible est la belle-fille du comte. A-t-elle un mobile ?

_ Le docteur avait une grande influence sur le comte. Aussi je pense qu’elle estimait que par la faute du défunt, cela l’empêchait d’avoir une rente plus importante pour elle et son mari.

_ Je vois. A présent, je m’en occupe. Amenez Sophie de Joncan dans le salon afin que je l’interroge personnellement.


Quelques instants plus tard, la belle-fille fut accueillie par le commissaire, lui-même secondé par l’inspecteur. Ses yeux étaient rouges comme si elle venait de pleurer.


_ Bonjour madame, je suis le commissaire Lambert chargé de l’enquête. Veuillez prendre place sur cette chaise. J’ai quelques questions à vous poser, lui indiqua le commissaire.


Sans rien présager, la belle-fille se mit à pleurer et à suffoquer.


_ Bonj … bonjour messieurs.

_ Qu’avez-vous madame ? Ne vous mettez pas dans cet état. Je veux juste que vous répondiez à mes questions.

_ Ce n’est …. ce n’est pas cela commissaire. J’ai trouvé ... une lettre dans mon sac à main tout à l’heure.

_ Et alors ?

_ Quelqu'un veut attenter à ma vie ! dit-elle en sanglotant de plus belle.

_ L’avez-vous ici ?

_ Oui, la voici.


Elle tendit la lettre au commissaire qui la lut attentivement :


“ Tu vas payer de ta vie pour

avoir ôté celle du docteur ”


L’inspecteur y jeta un œil par-dessus l’épaule de son supérieur.


_ Cette lettre vous menace de mort en vous accusant du meurtre du docteur, indiqua le commissaire.

_ Mais, tout cela est un tissu de mensonges. Je n’ai rien fait. Pourquoi l’aurais-je fait ? Il faut me protéger commissaire.

_ Je ne sais pas. Il y a tellement de raisons pour vouloir la mort de quelqu’un. Peut-être l’amour ?

_ L’amour ? Je ne comprends pas.

_ Vous étiez secrètement amoureuse de lui, mais pas réciproquement.

_ Qu’allez-vous donc imaginer ? Il ne me plaisait pas. C’était un coureur de jupons !

_ Alors la jalousie.

_ Moi, être jalouse de lui ? Il n’avait rien qui m’intéresse.

_ Ou bien l’argent.

_ Quoi, l’argent ? Il n’était pas spécialement riche.

_ Non, vous faites fausse route. Je parle de tout l’argent que vous auriez pu avoir s’il n’avait pas mis en garde le comte contre votre avidité pour ce vice.

_ Je n’ai jamais eu de folie de ce genre.

_ L’adjoint Tournier m’a informé de vos dépenses excessives en matière de voitures, de garde-robes et j’en passe.


Sophie ne sut que répondre à ces affirmations ne reflétant que la vérité.


_ Il est vrai que je dépense un peu d’argent, mais jamais au-dessus de mes moyens.

_ Peut-être que vous auriez voulu en user davantage. La richesse de votre beau-père était tout près, à portée de main, mais un obstacle, que dis-je, un mur vous en empêchait. Mais les murs, pardi, peuvent être abattus !

_ Vous croyez ... que j’ai tué le docteur. Mais non, c’est faux !

_ Cela fait des années que vous ruminez cela : se venger de celui qui entrave votre bonne fortune. Vous auriez pu quitter votre mari et vous trouver un pigeon assez riche et plus docile à convaincre. Mais non, vous n’avez pas trimé toutes ces années pour rien. Il fallait qu’il paie ! Qu’il le paie de sa vie !

_ Non, arrêtez ! Ce n’est pas vrai, se lamenta-t-elle.

_ Le soir du drame, quand chacun cherchait le docteur, vous l’avez trouvé la première et l’avez tué d’un coup net de couteau. Puis, comme une grande comédienne que vous êtes, vous avez hurlé de peur. Voilà ce qu’il s’est réellement passé. Le meurtre parfait ? Mais madame, cela n’existe que dans les histoires.


Sophie s’écroula et pleura. Rien ne pouvait prouver le contraire. La scène que venait de décrire le commissaire aurait très bien pu se dérouler ainsi. Elle essaya une dernière fois de le convaincre.


_ Commissaire, croyez-moi, je n’ai rien fait. Oui, j’aime l’argent, je dirais même que je l’adore. Mais pas au point d’assassiner quelqu’un. Je vous en supplie, ne m’arrêtez pas.

_ Il fallait y penser avant d’avoir agi de la sorte.


Sophie se prit la tête entre les mains et se mit à gémir. Le commissaire, impassible, se tourna vers les deux policiers en faction. Il allait leur faire signe de la menotter quand l’inspecteur Chovay se dirigea vers lui et dit tout bas : “Commissaire, je pourrais vous parler avant que vous ne l’arrêtiez”. Tous deux s’éloignèrent près de la grande baie vitrée.


_ Qu’y a-t-il lieutenant ? Pourquoi m’avez-vous interrompu alors que je m’apprêtais à embarquer l'assassin ?

_ Je me demande si cela est judicieux de la coffrer.

_ Vous vous permettez de douter de ma perspicacité ? !

_ Loin de moi cette idée, commissaire. Non, si elle est véritablement coupable, je me demande où est passée l’arme du crime ?

_ Elle a dû la cacher dans un coin juste après avoir tué le docteur.

_ Nous avons fouillé partout. Nous n’avons rien trouvé.

_ Dans ce cas, elle l’a cachée sous ses vêtements.

_ Elle portait un chemisier assez fin qui, je pense, ne l’aurait pas camouflée.

_ Qu’en sais-je ? On lui demandera tous les détails une fois placée en garde à vue au poste de police à Saint Brieuc.

_ Ne pensez-vous pas qu’il puisse avoir ne serait-ce qu’une petite chance qu’elle soit innocente ?

_ Je n’y crois pas un seul instant. La preuve, c’est que pour essayer de se disculper, elle a tenté de nous envoyer sur une fausse piste avec sa soi-disant lettre de menace. Vous-même, vous n’y croyez pas, vous avez à peine regardé ce courrier. Maintenant, ne m'importunez plus et laissez-moi opérer.

_ Vous avez raison, commissaire. Faisons selon la volonté du préfet : agir rapidement afin d’éviter toute mauvaise presse. L’arrestation de la belle-fille du comte de Joncan fera taire les mauvaises langues. On pourra lire demain dans les journaux : “La coupable était au sein même de la famille. Heureusement que le commissaire Lambert l’a démasquée avant qu’elle ne récidive”. Vous êtes la fierté de la Police. Quelle satisfaction j’éprouve de travailler à vos côtés, mon commissaire.

_ Cessez, s’il vous plait, vos flatteries. Je ne suis rien d’autre qu’un policier faisant son devoir.

_ Après cela, une fois sur votre piédestal, plus personne ne pourra vous faire tomber de si haut … à part la vérité.

_ Que voulez-vous dire lieutenant ? demanda le commissaire d’une voix embarrassée en perdant son sourire.

_ Je dis simplement que seule la vérité pourra vous rattraper et briser votre réputation.

_ Comment ça ?

_ Supposez que, par des faits que l’on n’a pas connaissance encore aujourd’hui, la culpabilité de Sophie de Joncan venait à se fissurer ou bien que l’on obtienne les aveux du véritable meurtrier, si tant est qu’il existe, que pensez-vous qu’il adviendrait de votre réputation ? On crierait au scandale : non seulement la police a commis une erreur judiciaire en arrêtant une femme qui n’a rien à se reprocher, mais en plus a brisé l’harmonie d’une famille. Je ne vous parle même pas des conséquences sur votre promotion.

_ Je ne vous suis pas. Vous pensez qu’elle n’est pas la meurtrière ?

_ Je pense que vous allez trop vite. Il faut poursuivre encore l’enquête et être certain d’arrêter la bonne personne. Les conséquences d’une mauvaise arrestation trop rapide sont plus tragiques qu’égratigner la notoriété du comte.

_ Que proposez-vous ?

_ Je souhaiterais interroger un autre témoin. Pouvez-vous me faire l’immense honneur d’y assister ? Votre charisme contribuera à la réussite de l’enquête.

_ Soit, faites comme bon vous semble. J’espère ne pas perdre mon temps.


A la fois énervé pour avoir cédé aux arguments de l’inspecteur et soulagé d’avoir possiblement évité des conséquences désastreuses, le commissaire se dirigea vers Sophie l’air grave.


_ Je vous laisse libre pour le moment. Ne vous éloignez pas trop.


En regardant les mains pleines de marques bleues de cette dernière, le commissaire lui lança :


_ Profitez-en pour nettoyer vos mains. Cela fait pitié à voir.

_ Mer … merci, commissaire. J’y vais de ce pas.


Sitôt, Sophie se leva et quitta la pièce. Elle n’en revint pas de ce revirement de situation. Elle soupçonna l’inspecteur d’avoir eu quelques paroles sensées et persuasives aux oreilles du commissaire. Chovay eut maintenant les mains libres pour conduire l’enquête à sa guise.