Youny

Le crime

Partie 1 - Chapitre 2

Ce matin à 9h30, ça sonne. Madame Turner ouvre la porte. C’est Matthew le facteur.

- Bonjour madame Turner, j’ai un colis à vous remettre.

- Bonjour Matthew. Depuis le temps que je l’attendais, il est enfin arrivé. J’ai commandé un robot de cuisine depuis plus d’un mois et demi !

- Bonjour Youny, dit Matthew se retournant en entendant le fauteuil s’approcher. Quelle belle journée aujourd’hui. C’est un temps à aller se promener.

Youny, le regard vide, reste là sans bouger comme si les mots de Matthew n'avaient aucune importance. Durant ces cinq secondes de silence, son attitude amorphe et son regard fixe embarrassent Matthew au point qu’il a l’impression que Youny voudrait lui répliquer : “A quoi bon cette promenade cloué dans ce fauteuil !” Alors, madame Turner, un peu gênée, change de conversation.

- Je t’offre un café Matthew ?

- Ce n’est pas de refus. J’ai pris mon petit déjeuner il y a maintenant plus de trois heures. Vous n’auriez pas un stylo pour signer le bon de remise du colis, s’il vous plaît ?

- Regarde sur le bureau, tu devrais en trouver un, lui répond-elle pendant qu’elle prépare le café dans la cuisine.

En effet, Matthew en déniche un dans une corbeille contenant toutes sortes de crayons, de paires de ciseaux, de trombones, d'agrafes. Il signe le papier, le tend à madame Turner afin qu’elle y appose également sa signature, puis remet le stylo à sa place.

Après cinq minutes passées, Matthew les remercie pour le café et quitte le domicile en saluant de la main Youny qui reste passif. Puis, son fauteuil fait demi-tour et se dirige vers son bureau. Youny parcourt les photos mécaniquement. « 𝅳Youny, il est 10h30. Il faut que tu ailles faire les courses. » Youny recule son fauteuil, fait demi-tour, s’approche de la porte d’entrée. Sa maman lui glisse le carnet, lui ouvre la porte. Ils sortent sur le palier, elle appelle l’ascenseur. Une fois rentré à l’intérieur, elle appuie sur le bouton correspondant au rez-de-chaussée, puis les portes se ferment. Sorti de l’immeuble, il traverse la rue, tourne à gauche et roule lentement sur le trottoir. Un adolescent se poste devant lui : « Bonjour Youny, … euh, je veux bien qu’on soit pris en photos tous les deux. » Ce dernier prend l’appareil photo accroché à son fauteuil, puis se met accroupi près de Youny et sourit de bon cœur. Clic-clac. Il repose l’appareil photo. « Je m’appelle Harry. Je te connais depuis longtemps, Youny. Je te vois souvent dans la rue. Mais ma maman ne veut pas que je m’approche de toi. Aujourd’hui, elle n’est pas là. Je suis très content de t’avoir parlé et pris en photo. J’aimerais bien qu’on fasse un selfie avec mon téléphone. Tu veux bien ? » Harry sort son téléphone, se met en position et prend une photo. Il tapote sur son écran et montre à Youny. « Regarde, elle est chouette. Comme ça, on est amis. Je te laisse, je dois y aller. A demain peut-être. » Youny, apathique, reste là sur place durant près d’une minute, puis poursuit son chemin. Il entre dans le magasin, mais il n’y a personne. Alors il arpente les allées de fruits et légumes, de conserves, de produits d’entretien, de gâteaux. Soudain, il entend du bruit, se retourne. C’est Ximena qui sort de la réserve. « Bonjour Youny, je ne t’avais pas entendu entrer. » Sans un mot de plus, elle prend le carnet, lui prépare ses courses silencieusement, les met à l’arrière de son fauteuil. « Je mets la note sur le compte de ta maman. A demain Youny. Passe une bonne journée. » Youny ne bouge pas et attend. Tout à coup, le téléphone de Ximena émet un bip. Agacée, elle le sort d’un geste rapide, se retourne, tapote nerveusement sur son écran, et enfin le remet dans sa poche. Elle fait un demi-tour, dévisage Youny et sèchement le congédie : « 𝅳A demain Youny. Il me semble te l’avoir déjà dit. »

De retour, il contemple silencieusement ses photos les faisant défiler plus ou moins vite. Il s'attarde sur celle avec Harry qu’il fixe durant de longues minutes. De temps en temps, il avance dans le diaporama, puis systématiquement retourne en arrière sur la photo qu’a prise Harry. Soudain, son attention est attirée vers la fenêtre lorsqu’il aperçoit des gens s’attrouper vers l’épicerie. Quelques minutes plus tard, une voiture de police, sirène hurlante et gyrophare allumé, s’y gare devant, suivie d’une ambulance. Plus aucune voiture ne circule dans la rue. Trois policiers empêchent les gens de trop s’y approcher. Vingt minutes plus tard, un brancard entouré d’infirmiers est roulé jusqu’à l’ambulance. Youny n’y voit personne dessus, juste un drap blanc. Tout à coup, il aperçoit quelqu’un courir à travers la foule : c’est Matthew. Il ralentit devant la civière, s’approche, soulève légèrement le drap et s’affale dessus en l’entourant de ses bras. Il semble pleurer, mais Youny est trop loin pour qu’il en soit sûr.