Les enquêtes de l'inspecteur Chovay

Un ami d'enfance

Chapitre 3



Lorsque l’inspecteur Chovay descendit pour se rendre au dîner, il fut surpris de constater que tous les autres invités étaient déjà présents et qu’on n’attendait plus que lui pour passer à table. Outre le comte, la comtesse et madame Vidal, il fit ainsi la connaissance de Serge, le fils de la famille, et de sa femme Sophie, très élégamment habillés tous les deux, ainsi que du très attendu docteur Pierre Henry qui semblait plutôt sympathique et de prime abord très à l’aise dans l’art oratoire. Tous étaient conquis par ses paroles enjolivées de pointes d’humour par-ci, par-là. Serge ne semblait pas prêter grand intérêt aux récits du docteur.


Comme à son habitude, la comtesse invita chacun à prendre place autour de la table ronde. Le comte et sa femme s’installèrent l’un près de l’autre, Sarah Vidal à côté de la comtesse, le docteur près de son ami Hervé, le fils et la belle fille à côté faisant face aux deux hôtes de la maison et enfin, entre l’autrice et Sophie, l’inspecteur. Ce dernier remarqua que, contrairement aux autres convives, sa fourchette et sa cuillère étaient inversées, ce qui le fit sourire intérieurement en concluant que Clémence était vraiment très distraite.


Durant le souper, le docteur continua de monopoliser la conversation, ce qui ne semblait déranger personne tant chacun buvait ses paroles et affichait son plaisir par des rires et des questions. A peine avait-il terminé un sujet qu’il en abordait un autre sans laisser le temps à quiconque de pouvoir s’exprimer. Aussi se succédèrent sa journée difficile à l’hôpital (bien sûr tout en préservant le secret médical), sa visite au centre pénitentiaire pour femmes où il se rendait chaque semaine pour y suivre ses patientes incarcérées, et enfin son dernier week-end aux Monts d’Arrée où il fit une bien belle rencontre, ce qui présenta un vif intérêt à l'assemblée présente et engendra un flot de questions dont il ne souhaita pas donner suite afin, dit-il, de prolonger le suspense jusqu’à la fin du repas. Alors que tous brûlaient d’envie d’en savoir davantage, Serge lança au docteur avec un air de défiance : “Encore une nouvelle conquête, Pierre ? La rennaise de l’année dernière ne vous satisfait donc plus ?”. L’inspecteur Chovay, situé en face du docteur, perçut une tension entre eux, corroborée par un léger sentiment de malaise parmi les convives. Mais le médecin, impassible, répliqua avec son humour habituel : “Soit, vous l’aurez voulu. En effet, j’ai une fois de plus cédé à la tentation féminine. A la vue d’une telle beauté, je n’ai pu vaincre et mon cœur s’est emballé à l’apparition furtive de … cette jument au galop sous une légère brise au sommet de la colline que j’étais en train d’admirer.” Surpris par cette chute inattendue, un rire général éclata autour de la table. Seul Serge ne parut pas y prendre un grand plaisir.


Alors que tout le monde avait fini son entrée depuis un bon quart d’heure, la maîtresse de maison signifia à Clémence de servir le plat. Le docteur, fidèle à lui-même, entama la conversation avec Sarah :


_ Quel sujet aborderez-vous dans votre prochain livre, madame Vidal ?

_ Il s’agit d’une histoire dans laquelle est commis un meurtre qu'un policier un peu futé cherche à élucider.

_ Alors ça ! Quel hasard ! clama le comte. Vous avez à votre droite mon ami Marcel un excellent inspecteur, non seulement très rusé, mais également avec un flair légendaire pour débusquer les canailles.

_ Tu exagères un peu, Hervé, répondit l’inspecteur. Il est vrai que j’ai résolu toutes sortes d’affaires, mais je ne suis pas seul à le faire. Il y a toute une équipe à mes côtés et le commissaire qui supervise.


Pendant que Clémence était en train de servir un succulent poulet basquaise dans l’assiette de l’inspecteur Chovay, le docteur se mit à tousser, à tousser tellement fort que chacun s’arrêta de parler pour constater le désarroi de ce dernier. Plus cela allait, plus il s’étouffait. Ni une, ni deux, l’inspecteur se leva, redressa le docteur et lui asséna des tapes dans le dos pour l’aider à cracher ce qui lui restait en travers de la gorge. Paniquée, la comtesse donna l’ordre à Clémence d’aller chercher une grande carafe d’eau en cuisine. A force de recevoir des coups dans le dos, le docteur commença à mieux respirer. Il lui fallut tout de même deux minutes pour reprendre ses esprits. Mais alors qu’il semblait rétabli, sans crier gare, il se retourna, se mit à courir en direction de la porte et quitta la pièce. Personne ne comprit sa réaction. Avec cet étouffement, le manque d'oxygène durant quelques secondes lui avait-il fait perdre la tête ? Tout le monde se regarda avec stupéfaction et incompréhension. Un peu moins d’une minute après, Clémence arriva avec la carafe d’eau.


_ Avez-vous croisé le docteur en revenant de la cuisine ? demanda le comte.

_ Non, monsieur, je ne l’ai pas vu.

_ Allons tous à sa recherche !


Chacun sortit de la pièce et se rendit dans des directions différentes en appelant le docteur. Le comte, la comtesse et Clémence montèrent à l’étage, tandis que Sarah Vidal prit la direction du hall d’entrée. L’inspecteur Chovay décida de se rendre à la grande bibliothèque et Sophie de parcourir le couloir en commençant par le côté droit. Serge, non mécontent de la situation, resta assis paisiblement à sa place à déguster savoureusement un verre de sauvignon.


Trois minutes après, on entendit un hurlement perçant dans le château provenant du couloir de gauche. Tout le monde accourut et découvrit Sophie tremblante près du docteur allongé sur le ventre ne donnant aucun signe de vie. L’inspecteur Chovay s’approcha de ce dernier, posa deux doigts sur son cou pour prendre son pouls : rien. Il leva la tête et annonça : “Le docteur Pierre Henry est mort”. Des cris et des pleurs se manifestèrent. Puis l’inspecteur retourna délicatement le corps inerte. Soudain, se furent des hurlements : sur le sol, une tache de sang provenant du ventre du docteur. L’inspecteur Chovay se releva et d’une voix grave dit :


_ Il ne fait aucun doute : le docteur a été assassiné.

_ Non, pas notre ami ! Pas chez nous ! éclata en sanglot la comtesse.

_ Je suis désolé, Jeanne, mais c’est la vérité. Je pense qu’il a été poignardé, mais je vous le confirmerai après les conclusions du médecin légiste. Quatre à cinq minutes se sont écoulées depuis qu’il est sorti de table, il est 22h10, par conséquent il a été tué entre 22h04 et 22h09. A partir de cette seconde, je me charge de l’affaire. Toutes les personnes présentes au château doivent y rester jusqu’à nouvel ordre. J'invite chacun à rejoindre sa chambre.