Les enquêtes de l'inspecteur Chovay

Un ami d'enfance

Chapitre 13



L’inspecteur passa à la dernière partie de son plan afin de prouver la culpabilité de Clémence. Le commissaire, nageant complètement dans le flou, préféra s’abstenir de tous commentaires faisant mine de suivre le raisonnement minutieux de Chovay.


_ Faites venir Emilien, s’exclama l’inspecteur en direction d’un des deux policiers.

_ Mais pourquoi voulez-vous mêler mon cousin à cette histoire ? répliqua Clémence.


L’inspecteur, sans rien paraître, perçut un changement dans l’attitude de la prévenue. Une fissure dans sa carapace serait-elle sur le point de se révéler ?


_ Installez-vous confortablement dans cette chaise, Emilien. Je vais vous poser quelques questions auxquelles je vous demande de répondre le plus sincèrement possible. Quel lien avez-vous avec Clémence ?

_ C’est ma cousine.

_ Est-ce un hasard qu’elle travaille ici avec vous ?

_ Non, quand j’ai su que madame la comtesse recherchait une employée de maison, je lui ai parlé de Clémence.

_ Où travaillait-elle avant de venir ici ?

_ Je ne sais pas.

_ Elle prétend qu’elle était au Majestica, un hôtel de luxe à Rennes.

_ Oui, je me souviens qu’elle m’en avait parlé.

_ Pourquoi mentez-vous ? Nous savons qu’elle n’y a jamais été ?

_ J’ai dû mal comprendre ce qu’elle m’avait raconté.

_ Qui est cette femme ?

_ Clémence, ma cousine.

_ C’est la deuxième fois que vous mentez. Vous savez très bien qu’il ne s’agit pas de Clémence Leroux. Votre véritable cousine habite actuellement à Saint Malo. Pourquoi la protégez-vous ?

_ Je ne comprends pas ce que vous dites.

_ Êtes-vous au courant qu’elle a tué le docteur ?

_ Non, c’est impossible. Je ne vous crois pas.


L’inspecteur s’interrompit quelques secondes tout en fixant Emilien, puis changea de sujet.


_ Connaissez-vous le surnom que l’on vous donne au chateau ?

_ Non, je ne savais pas que j’en avais un.

_ On vous surnomme “Emilien l’adorable” car depuis une quinzaine d’années que vous travaillez ici, vous êtes toujours de bonne humeur, serviable, gentil, attentif aux autres. Mais depuis hier, on ne peut certainement pas vous prêter ce doux pseudonyme : vous bougonnez tout le temps, vous êtes coléreux. Et cela depuis dimanche matin, le lendemain du meutre du docteur. Votre humeur a radicalement changé car vous êtes rongé par le doute : a-t-elle ou non tué le docteur Pierre Henry ? Je vous affirme qu’elle l'a assassiné non pas accidentellement, mais avec préméditation.

_ Je … je ne vous crois pas. Vous essayez de me faire dire des choses.

_ Je vais vous le prouver. Regardez ces trois lettres, ce sont des lettres de menaces reçues par le comte et conçues par votre cousine. Ce matin, je me suis rendu dans ma chambre, j’ai fabriqué deux courriers anonymes identiques à ceux qui sont sous vos yeux en collant des lettres découpées dans le journal avec le message suivant : “Tu vas payer de ta vie pour avoir ôté celle du docteur”. Je les ai ensuite confiés au comte. Il a glissé subrepticement l’une de ces lettres dans le sac à main de madame Sophie. Savez-vous ce qu’a été sa première réaction après l’avoir lue ? Elle a paniqué et, effrayée, nous l’a montrée spontanément pour nous demander de la protéger. Pourquoi ? Car elle n'avait rien à se reprocher et naturellement a pris peur de ces intimidations. La deuxième lettre, que le comte a également fait parvenir discrêtement, était destinée à Clémence. Lorsqu’elle s’est présentée à nous tout à l’heure, elle n’en a jamais fait allusion alors même que je lui ai présenté face à elle ces trois-ci identiques en tous points. Cela ne vous semble pas étrange ?

_ Elle ne l’a peut-être jamais vue ? rétorqua Emilien.

_ L'avez-vous eue entre les mains ? demanda l'inspecteur à Clémence.

_ Non, répondit-elle sur un ton sec.

_ J'ai oublié de vous signaler qu'avant de refermer les enveloppes, j'ai imbibé les deux lettres de STSB, un liquide incolore de ma fabrication ayant la particularité de bleuir les doigts des personnes qui les touchent. Regardez son pouce, son index et son majeur comme ils sont bleutés. C’est bien la preuve qu’elle a ouvert l’enveloppe et l'a tenue entre ses mains. Seule la personne coupable persisterait à nier. Par conséquent, Clémence est la meurtrière du docteur. Alors maintenant Emilien soyez raisonnable, dites-nous la vérité !


Emilien se mit à trembler, puis ses bras tombèrent tel un rideau blanc pour dévoiler l’oeuvre d’art cachée tant convoitée. Tout à coup, Clémence cria :


_ Surtout ne dis rien, ils n’ont rien contre moi !


Le jardinier craqua et dit en gémissant sous les pleurs :


_ Je ne sais pas si c’est une meurtrière, mais je sais qu’elle ….

_ Vas-tu te taire, bougre d’imbécile ! hurla la servante

_ Elle s’est évadée de ..., continua le jardinier

_ Un jour, c’est moi qui vais te tuer !! ajouta-t-elle.


Bien qu’Emilien n’eût pas fini sa phrase, tout en l’inspecteur s’éclaircit comme par magie. Le profil de l’assassin lui revenant en mémoire (une personne sans scrupule avec un très grand sang-froid ayant des connaissances dans l’art de tuer) lui permit de terminer la phrase d’Emilien :


_ Elle s’est évadée de la prison de Saint Brieuc ! Je comprends tout maintenant. Le docteur y travaillait, il avait comme patientes des prisonnières. Durant le repas, il a reconnu Clémence pendant qu’elle me servait et, surpris de la voir ici, il a manqué de s’étouffer. En arrivant au château il y a trois mois, vous avez croisé et reconnu celui qui vous prodiguait des soins en prison, c’est pourquoi vous avez tenté de l’empêcher d’y revenir avec vos lettres de menaces avant qu'il ne vous dénonce.

_ De toute façon, rien ne prouve que ce que vous dites est vrai. Je me suis échappée de prison, mais je n’ai pas tué le docteur. C’est votre parole contre la mienne. Où sont donc les preuves ?


Au même moment, on frappa à la porte. Le policier, à qui l’inspecteur avait murmuré à l’oreille peu de temps avant, entra avec un sac transparent à la main qu’il remit à Chovay.


_ J’ai demandé juste avant votre interrogatoire à ce policier d’aller fouiller votre chambre. Et vous ne devinerez jamais ce qu’il a trouvé emballé dans un sac sous le matelas ? Les voilà, les preuves. Voyez dans ce sac l’arme du crime imbibé de sang. Je suppose qu’après analyse, on retrouvera vos empreintes et le sang du docteur.


Clémence sut à présent qu’elle ne pouvait plus nier. Plus rien de ce qu’elle dirait ne suffirait à la défendre. Son arrogance s’était évanouie, laissant place à une rage incontrôlable. Les trois policiers réussirent à maintenir la bête féroce tant bien que mal.


_ Qu’on l’embarque ! lança l’inspecteur.

_ Non, laissez-moi, je ne veux pas retourner en prison ! cria-t-elle d’une voix stridente.

_ Attendez messieurs, dit Emilien d’une voix hésitante en regardant Clémence. Marie, tu m’avais pourtant juré au téléphone tout à l’heure que tu n’y étais pour rien. Pourquoi m’as-tu menti ?

_ Quel naïf tu peux être ! Pauvre Emilien.


Elle quitta la bibliothèque entourée des trois policiers. L’inspecteur se dirigea vers Emilien traumatisé par ce qui venait de se passer.


_ Maintenant, vous pouvez m’avouer que représente cette femme pour vous, demanda l'inspecteur à Emilien.

_ C’est ma première petite amie lorsque j’avais une vingtaine d'années. Elle s’appelle Marie. Mais elle avait de mauvaises fréquentations, ce qui l’a conduite en prison. Quand elle s’en est échappée, elle est venue me trouver pour que je l’aide.

_ Je vois. Je vais vous demander de suivre ces deux policiers au poste de police pour avoir caché une fugitive.


Bien que victime collatérale de Marie, Emilien fut également arrêté. L’inspecteur Chovay savoura sa victoire et dit tout haut : “Echec et mat”. Le commissaire, quant à lui, resta bouche-bée. Il s’avoua secrètement à lui-même que finalement il n’avait pas compris grand-chose à l’enquête et que sa réputation l'avait échappé belle grâce à l’inspecteur.