Les enquêtes de l'inspecteur Chovay

Un ami d'enfance

Chapitre 4



L’inspecteur Chovay chargea le comte de vérifier que chacun avait bien regagné sa chambre, aussi bien les invités que le personnel du château. Il sécurisa les lieux en bloquant les accès à la scène de crime par des tables et des chaises, puis téléphona au commissaire Lambert.


_ Allo, monsieur le commissaire ? Ici, c’est l’inspecteur Chovay à l’appareil.

_ Bonsoir, lieutenant Chovay. Pourquoi me dérangez-vous à cette heure tardive ?! Je vous croyais en VSD !

_ En effet, je suis en ce moment chez mon ami le comte Hervé de Joncan, mais un meurtre y a été commis.

_ Ah, vraiment ? Vous êtes toujours là où il ne faut pas. Attendez … de Joncan … cela me dit quelque chose. Oui, je me souviens. C’est une vieille connaissance du préfet. C’est très ennuyeux. Qui est la victime ?

_ Il s’agit du docteur Pierre Henry, un ami du comte.

_ Comment a-t-il été tué ?

_ Je pense qu’il a été poignardé.

_ Avez-vous arrêté le coupable ?

_ Non, nous ne savons pas de qui il s’agit. La belle fille du comte a trouvé le corps dans un des couloirs de la demeure, mais il n’y avait personne alentour.

_ Bon, puisque vous êtes sur place, je vous charge de l’enquête. Préparez-vous à recevoir toute l’équipe et le médecin légiste dès demain matin à huit heures. Où a eu lieu le drame ?

_ Au château de Joncan à Yffiniac.

_ Il s’agit, dans notre intérêt à tous les deux, de marcher sur des œufs. Hervé de Joncan est une personnalité très influente dans la région et le préfet ne tolérera aucun excès de zèle qui entacherait inutilement sa réputation. Il va falloir vite débusquer le coupable. Sur ce, je vous laisse. Souhaitez-moi bonne nuit. Quant à vous, lieutenant, je vous conseille de rester sur le lieu du crime et de ne dormir que d'un œil.

_ Bonne nuit, monsieur le commissaire.

_ Ah, une dernière chose : votre grade est “lieutenant” et non “inspecteur”.

_ Je m’en souviendrai, monsieur le commissaire.


Le terme de lieutenant ne lui avait jamais plu, ainsi il avait toujours préféré qu’on l’appela inspecteur. Il s’installa dans une chaise et y resta éveillé toute la nuit pour éviter que quiconque, et en particulier le meurtrier, modifiât quoi que ce soit.


* * *


Le lendemain matin à huit heures et cinq minutes, ses collègues de la crime de Saint Brieuc arrivèrent dans quatre voitures de police. Son adjoint, Michel Tournier, entra le premier dans le château, suivi d’une dizaine de policiers. Emilien l’accueillit et le mena jusqu’à l’inspecteur Chovay.


_ Bonjour inspecteur. Comment allez-vous ?

_ Bonjour Michel. Ça pourrait aller mieux. Pour une fois que je prenais des vacances ! Voilà le topo.


L’inspecteur décrivit à son adjoint les lettres de menaces reçues par le comte, le dîner de la veille au soir et la découverte du cadavre du docteur. Il donna les ordres pour débuter l’enquête. Ainsi, chaque policier s’activa : certains prirent les dépositions des témoins dont celle de l’inspecteur, un autre photographia la scène du crime, pendant qu’un autre releva toutes les empreintes, deux autres policiers inspectèrent l’extérieur du château pour vérifier s’il y avait des traces d’effractions, des empreintes de pas ou de véhicules. Le médecin légiste examina le corps et certifia en quelques minutes que la mort du docteur provenait d’un seul coup de couteau porté au ventre. Elle fut instantanée, le docteur n’ayant souffert que quelques secondes. Pour le reste, il fallait attendre les conclusions de l’autopsie.


Sur l’ordre de Chovay, Tournier informa tous les témoins qu’ils pouvaient à présent vaquer à leurs activités sans pour autant quitter le château. Quant à l’inspecteur, son occupation préférée allait enfin pouvoir commencer : regarder, s’imprégner, questionner, réfléchir, flairer, ressentir, déduire dans le seul but d’arrêter le coupable. Il commença par regarder la position du corps et son emplacement dans le château. Le docteur avait été trouvé gisant sur le ventre, donc en tombant il était parti vers l’avant, certainement que son corps s’était plié par réflexe quand le couteau le pénétra. L’arme n'étant pas présente, le tueur l’avait ôtée d’un geste rapide avant que le docteur ne tomba au sol car sinon on aurait retrouvé ce dernier sur le dos (retourné par l’agresseur pour retirer le couteau planté). Le meurtrier ou la meurtrière agissant de la sorte ne pouvait être qu’une personne ayant un grand sang froid et sans scrupule. Le corps du docteur se trouva juste derrière l’angle du couloir, ce qui semblait indiquer que l’assassin l’attendait caché ici. Mais une question importante lui apparut : où se cachait l’arme du crime ? Il fouilla tout autour de la scène du meurtre, mais rien. Cela ne le surprit pas étant donné le supposé self-contrôle du meurtrier. D’un côté, le couloir menait vers le hall d’entrée et de l’autre côté vers une porte donnant sur la buanderie. L’inspecteur demanda à Tournier d’éplucher tout le hall à la recherche de l’arme, tandis qu’il s’occuperait de la buanderie. Il y entra et observa la pièce : elle contenait tout le nécessaire pour le lavage (sèche-linge, lave-linge, évier, …) et le repassage, des placards contenant toutes sortes de produits d’entretien, et un placard vide. Quelle idée saugrenue de laisser un placard inutilisé, pensa l'inspecteur. Aucune fenêtre. L’inspecteur fouilla toute la pièce de fond en comble : il ne trouva pas le couteau. Son adjoint le rejoignit pour lui annoncer la même conclusion. Par conséquent, le coupable l’avait sur lui, caché et bien emballé pour éviter toute goutte de sang.


Après ces investigations, l’inspecteur autorisa le retrait du corps. Il invita tous ses collègues à quitter les lieux. Il était déjà dix heures. Il prit son petit déjeuner tout en lisant les dépositions que Tournier lui avait remises avant de commencer les interrogatoires.


* * *


L’inspecteur décida de débuter par la principale suspecte, à savoir Sophie de Jocan qui avait trouvé le docteur. Il la trouva dans le petit salon à lire allongée sur une des chaises longues.


_ Bonjour madame de Joncan. Comment allez-vous par ce beau dimanche ensoleillé ?

_ Bonjour monsieur l’inspecteur. A vrai dire, pas très bien. J’ai en permanence le visage du docteur en mémoire. Alors la lecture m’aide à penser à autre chose.

_ Je comprends. Une mort naturelle est souvent pénible, mais un meurtre est encore plus difficile. Connaissiez-vous bien le défunt ?

_ Non, pas particulièrement. On se voyait de temps en temps lors de week-ends au château. Mais nous n’avions pas véritablement d’atomes crochus.

_ Racontez-moi en détail ce que vous avez fait depuis le moment où tout le monde a quitté la salle jusqu’à ce que vous découvriez le corps.

_ J’ai emprunté le couloir de droite à la recherche du docteur. Je me suis retrouvée dans la cuisine. J’ai demandé à Isabelle si elle l’avait vu. Comme elle m’a répondu par la négative, j’ai rebroussé chemin et j’ai poursuivi jusqu’au couloir de gauche où j’ai trouvé le docteur.

_ Je vois, en somme, à part Isabelle, vous n’avez vu personne ? Combien de temps avez-vous mis entre le moment où vous avez quitté la pièce et la découverte du corps ?

_ Je dirais pas plus de trois minutes.

_ Et votre mari, le connaissait-il davantage ?

_ Non, pas plus que moi.

_ Pourtant, il m’a semblé lors du repas que certaines tensions pouvaient exister entre eux.

_ Je ne vois pas ce qui aurait pu vous donner cette impression. Personnellement, je l’ignore.

_ Il est tout de même étrange que votre mari soit resté assis à prendre un verre pendant que nous étions tous à la recherche du docteur ?

_ Je ne comprends pas pourquoi vous vous focalisez sur mon mari puisqu’il n’a pas bougé de cette pièce. Mon mari n’a rien à voir avec ce drame.

_ C’est vous qui le dites, madame. On pourrait imaginer qu’il ait peut-être quitté la salle à manger un instant.

_ Vous pensez que pendant que j’étais dans le couloir de droite, il se serait rendu vers celui de gauche et qu’il aurait t… Mais, tout ceci est absurde ! Mon mari n’est pas homme à tuer !

_ Dans ce cas, s’il avait une bonne raison de le faire, quelqu’un d’autre aurait très bien pu le commettre à sa place. Peut-être une personne qui l’aime assez …

_ Vous insinuez que j'aurais assassiné le docteur ? ! s’exclama Sophie d'une voix tremblante. Mais non ! Je ne pourrais jamais blesser volontairement quelqu’un !

_ C’est pourtant vous qui étiez la première sur le lieu du crime.

_ Mais ce fut un hasard. J’ai vu certains qui allaient vers le hall, d’autres à l’étage, alors moi je me suis décidée à chercher dans les couloirs.

_ Je vois. Je vous libère madame. Mais veuillez rester à ma disposition au château.


L’inspecteur laissa seule Sophie qui semblait toute retournée. En quittant la pièce, il remarqua qu’elle sortit un mouchoir. Il ne put que constater, à moins d’être excellente comédienne et feindre le désarroi, que Sophie ne correspondait pas au profil présumé du meurtrier. Il appelait cette méthode d’interrogatoire “le thermomètre de personnalité”. Elle consistait à suggérer au suspect qu’il pourrait être le présumé responsable des faits reprochés en lui soumettant un mobile plausible. L’inspecteur employait généralement cette méthode pour jauger la personnalité d’un suspect.