Les enquêtes de l'inspecteur Chovay

Un ami d'enfance

Chapitre 1



En ce vendredi 29 juin, l’inspecteur Chovay se réveilla heureux et satisfait. En effet, la veille fut la conclusion d’une enquête qu’il avait menée durant presque deux mois et qui déboucha sur l’arrestation d’une bande organisée de cambrioleurs surnommée “le gang des caméléons” car ils arrivaient, à l’aide de costumes particuliers, à se fondre dans les paysages urbains et ruraux, et ainsi passer inaperçus. C’est pourquoi les investigations avaient longtemps piétiné, mais le rusé inspecteur Chovay y avait mis un terme.


Suite à ce succès, le commissaire Lambert lui avait donné son VSD comme ils disaient au poste de police de Saint Brieuc (Vendredi Samedi Dimanche). L’inspecteur, un touche-à-tout à ses heures perdues, décida de finaliser sa petite trouvaille. Il ouvrit sa mallette de chimiste de laquelle il sortit deux éprouvettes, un petit réchaud, ainsi qu’une petite bouteille contenant un liquide transparent semblable à de l’eau. Il y ajouta une substance bleue. Il chauffa le tout et attendit quelques minutes le refroidissement complet du nouveau liquide ainsi obtenu. A l’aide d’une pipette, il déposa une goutte de cette substance sur un morceau de tissu et patienta une dizaine de minutes. Aucun changement à première vue. Il passa ses doigts dessus. Une quizaine de minutes plus tard, ceux-ci commencèrent à changer de couleur pour devenir légèrement bleus. Il essaya de les nettoyer en les passant sous l’eau, mais rien n’y faisait. C’est alors qu’il se dit d’un air satisfait : “J’ai réussi ! Dans vingt-quatre heures, cela aura disparu.” Il ne lui manquait plus qu’à trouver un nom à son invention. Il l’appela STSB, acronyme de “Sitôt Touché, Sitôt Bleuté”. L’inspecteur possédait ainsi plusieurs cordes à son arc. Il était fervent de la logique qu’il n’hésitait pas à user pour les besoins de ses enquêtes. Les sciences le passionnaient. Il lut beaucoup d’ouvrages sur la psychologie des individus, ce qui lui procurait une aide précieuse pour comprendre la nature humaine et mettre en évidence les mobiles des coupables. Il fut à l’origine de différents modes d’interrogatoires des suspects. Il conçut le “stylo viseur-marqueur” qui projetait un rayon laser et laissait une marque invisible sur tout objet (excepté la peau humaine) pouvant être révélée à l’aide d’un logiciel créé par lui-même utilisant la caméra de son téléphone.


En milieu d’après-midi, l’inspecteur descendit au bar juste en bas de chez lui. En voyant Jacky le barman qu’il connaissait bien, il lui lança­­­­ : “Comme d’habitude, un café et un croissant”. Il aimait prendre le temps d’un bon café corsé bien chaud avec un croissant pur beurre tout en laissant ses yeux divaguer ailleurs. Durant ce temps de pause, il regardait les autres clients : une femme agée avec ses commissions qui prenait un chocolat chaud avec des tartines, et, un jeune homme au comptoir qui discutait avec Jacky. Il aimait observer les gens pour tenter “de les deviner” selon son expression favorite. Ainsi, il imaginait que la femme avait fait ses courses car sa famille devait débarquer chez elle le soir même, et comme elle n’avait pas pris le temps de déjeuner, elle profitait de goûter maintenant. Quant au garçon, étant donné sa façon de gesticuler, de parler rapidement et tristement, sa petite amie l’avait peut-être quitté la veille. Voilà pourquoi l’inspecteur prenait toujours son temps assis devant un café.


Soudain, un troisième client entra, salua Jacky en lui demandant un double expresso. Il s’installa à une table face à l’inspecteur. Il leva les yeux et, surpris, reconnut l’inspecteur.


_ Quel heureux hasard de te rencontrer ici, Marcel ? en s’adressant à l’inspecteur.

_ Comme tu dis, Hervé. Comment vas-tu ? lui répondit l’inspecteur.

_ Je passais dans le quartier pour mes affaires et comme j’avais un peu de temps avant mon prochain rendez-vous, j’ai décidé de m’arrêter ici.


Tout en continuant de parler, le comte Hervé de Joncan se leva et s’installa à la table de son ami Marcel Chovay. Ils s'étaient connus adolescents à l’école et étaient restés en relation durant leurs années de collège et de lycée. La dernière fois qu’ils s'étaient vus, c’était lors d’une partie de pêche que le compte avait organisée dans son château à Yffiniac.


_ J’ai quelques invités ce week-end au château. Je t’invite à y venir.

_ Je ne voudrais pas déranger ….

_ Que dis-tu ? ! Bien au contraire. Viens dès demain matin. Nous aurons ainsi le temps de discuter. Jeanne sera ravie de te revoir.


Après avoir quitté son ami, l’inspecteur fut euphorique à l’idée de passer le week-end au château. Il y fut déjà allé plusieurs fois lorsqu'il était enfant et il y avait deux ans. L’idée de dormir dans un tel lieu l’avait toujours enchanté.


* * *


Le lendemain, l’inspecteur arriva au château vers 10 h comme convenu. La cour intérieure était plus grande que dans ses souvenirs. Tout autour, les jardins étaient magnifiquement verts et parsemés de fleurs de toutes les couleurs. A peine sorti de la voiture, il fut accueilli par Emilien. Son sourire de bienvenue (et légendaire au château) fut si authentique que l’inspecteur ne put s’empêcher de le lui rendre.


_ Je me présente, Emilien. Je suis le jardinier de ce château. Avez-vous fait bonne route, monsieur ?

_ Oui, cela m’a été très agréable de parcourir les routes de campagne. Je m’appelle Marcel Chovay. Je suis un ami d’enfance de monsieur le comte.

_ Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas. Je suis là pour que votre séjour se passe le plus agréablement possible.


Ils se rendirent tous deux au château tandis qu’Emilien portait les bagages. Quand la grande porte en bois s’ouvrit, l’inspecteur fut en admiration devant le hall d’entrée immense aussi bien en longueur, en largeur qu’en hauteur. Les meubles d’époque renforçaient cette beauté en harmonie avec l’idée même qu’il se faisait d’un véritable château.


_ Si vous voulez vous donner la peine d’entrer dans le petit salon, je vais prévenir madame la comtesse.


En pénétrant dans la pièce, l’inspecteur pensa que le terme “petit salon” était assurément sous-estimé et que “grand salon” aurait été préférable pour ces quatre-vingt mètres carrés de surface partagés en trois parties : une bibliothèque avec deux fauteuils en cuir et une table ; une partie salon avec un grand canapé d’angle et une table basse ; une troisième partie près de la grande baie vitrée dans laquelle trônaient quatre chaises longues orientables à loisir pour admirer les beaux jardins ou se relaxer. Pris d’un sursaut en entendant une voix, l’inspecteur se retourna et aperçut la comtesse.


_ Quelle joie de te revoir, Marcel ! Quand mon mari m’a appris ton arrivée hier soir, j’étais impatiente à ce matin.

_ Bonjour Jeanne. Moi également. Cela fait deux ans la dernière fois.

_ Oui, je m’en souviens très bien. Nous avions bien ri de te voir essayer d’attraper une truite de plus de quarante centimètres de longueur avec ta petite canne à pêche.

_ Mais j’y suis tout de même arrivé.

_ Et nous l’avons bien dégustée grâce à notre excellente cuisinière !

_ Je me souviens encore de ce fabuleux repas.

_ Hervé n’est pas là. Il est en promenade à cheval avec Sarah Vidal. La connais-tu ?

_ Non, je n’en ai pas l’honneur.

_ C’est une célébrité dans son domaine. Elle est écrivaine.

_ J’ai hâte de la rencontrer.

_ Je vais appeler Clémence qui te conduira dans ta chambre. J’ai beaucoup à faire avec le déjeuner de ce midi. Je te laisse.

_ A tout à l’heure.


Un instant après, la servante entra dans le petit salon.


_ Bonjour monsieur, je suis Clémence. Voulez-vous bien me suivre jusqu’à votre chambre ?

_ Enchanté, je suis Marcel Chovay. Je vous suis.


Clémence avait la cinquantaine, les cheveux courts et portait son uniforme d’aide domestique. Contrairement à Emilien qui l’avait accueilli chaleureusement, l’inspecteur eut l’impression qu’elle lui avait sourit par obligation comme dut le faire une servante à l’arrivée d’un invité. Elle marchait d’un pas lent cérémonial. La maison était grande. Il fallut gravir le grand escalier, longer trois immenses couloirs, traverser un hall dans lequel se trouvait une petite bibliothèque et un dernier couloir pour entrer par la troisième porte à droite. La chambre était magnifique : très grande, bien éclairée avec des couleurs sobres. Le mobilier était digne des grands rois : un bureau d’époque ; dans un des coins, un petit salon avec deux fauteuils en cuir et une table basse ; un très grand lit à baldaquin orné de somptueuses gravures. L’inspecteur remarqua de suite que les draps étaient légèrement froissés et dépassaient du couvre-lit. Clémence débarrassa l’inspecteur de son imper.


_ J’espère que votre chambre vous conviendra. Je l’ai préparée ce matin. Elle a été bien aérée avant votre arrivée.

_ Je vous en remercie Clémence. Elle est parfaite.


L’inspecteur pensa tout en disant cette dernière phrase que Clémence avait dû être prévenue tardivement de son arrivée et ainsi préparé sa chambre dans la précipitation.