Les enquêtes de l'inspecteur Chovay
Un ami d'enfance
Chapitre 6
Après avoir dégusté son encas, l’inspecteur Chovay décida de faire le tour du propriétaire. Il se rendit d’abord dans la buanderie pour examiner de plus près ce fameux placard qui l’avait interpellé ce matin même. En effet, à première vue, l’idée d’un placard vide paraissait cocasse, mais finalement en appuyant sur le bouton caché tout près, l’inspecteur fut en admiration devant cet ingénieux petit ascenseur transférant le linge entre la buanderie et la lingerie située à l’étage.
Il continua sa visite par le hall d’entrée et remarqua un coin sombre situé sous l’escalier pouvant servir de cachette et situé à seulement une quinzaine de mètres du lieu du crime. L’inspecteur Chovay imagina ainsi la scène : l’assassin était caché derrière l’angle du couloir de gauche, poignarda le docteur et se dissimula sous l’escalier. Ainsi lorsque tout le monde sortit et se dispersa dans le château, il n’avait plus qu’à s'esquiver. Dans ce cas, les seules personnes plausibles à cette hypothèse ne pouvaient se trouver dans la salle à manger : par conséquent, il ne pouvait s’agir que d’Isabelle et d’Emilien. Mais cette dernière était déjà dans la cuisine quand Sophie s’y rendit à la recherche du docteur. Il ne reste donc qu’Emilien dans cette éventualité. Sa réflexion actuelle le mena donc à deux suspects possibles : Sophie pourrait l’avoir tué quand elle le trouva dans le couloir ou bien Emilien qui après l'avoir assassiné se serait caché sous l’escalier durant quelques minutes. Tout cela restait donc à confirmer ou à infirmer.
Cloîtré depuis ce matin dans le château, l’inspecteur partit prendre l’air dans le jardin, ou plutôt les jardins qui entouraient l’édifice. Devant la façade, un joli jardin d’agrément très coloré avec une grande variété de fleurs et des allées pour se promener. Il en profita pour prendre un bon bol d’air et réfléchir à l’enquête. En marchant, il relut les notes prises durant les interrogatoires. Le temps de trois minutes que déclara madame Sophie de Joncan se recoupait avec sa propre estimation, son apparente émotivité ne concordait pas avec le profil du meurtrier. Elle pourrait avoir dit la vérité, tout comme avoir menti : une fois revenue de la cuisine, elle trouva dans le couloir de gauche le docteur, bien vivant, une trentaine de secondes avant son appel, temps suffisant pour perpétrer le crime, camoufler l’arme sur elle et se mettre en condition pour simuler un cri de terreur. Madame Sophie de Joncan pourrait-elle détester assez le docteur jusqu’à lui ôter la vie ? Son goût pour les mondanités est-il si extrême qu’il justifierait à ses yeux l'irréparable ? L’inspecteur ne le sut pas encore, mais l’envisageait. Quant à Isabelle, aucun doute de son innocence : aucune possibilité pour elle de se rendre dans le couloir de gauche car sa présence dans la cuisine était confirmée deux minutes avant le cri de madame Sophie. Et quel serait son mobile ? Quand à Clémence, elle n’était au château que depuis seulement trois mois, ce qui ne fut généralement pas assez pour envisager une raison de tuer. Il restait encore à recueillir les témoignages de Hervé, de Jeanne, de leur fils Serge, de Sarah Vidal et d’Emilien qui pouvait être un suspect potentiel.
* * *
Perdu dans ses pensées, l’inspecteur Chovay ne se rendit pas compte qu’il avait fait un demi-tour autour du château à travers les multiples allées. Il découvrit un plan d’eau bien entretenu au bord duquel était assis Emilien. Il vint à sa rencontre et le salua.
_ Bonjour, monsieur Emilien. Comment allez-vous ?
_ Bonjour, répondit-il d’une humeur massacrante.
_ Cela n’a pas l’air de vous enchanter de me voir.
_ Je suis bien obligé de passer à la casserole comme les autres !
_ Je ne vous poserai que quelques questions.
_ Allez, faites vite qu’on en finisse.
L’inspecteur ne reconnut pas le gentil Emilien qui l’avait accueilli la veille. Que s’était-il passé depuis pour altérer cette jovialité naturelle qui le caractérisait ? Serait-ce lié au crime ? L’inspecteur ne le savait pas et allait tout faire pour le découvrir ?
_ Où étiez-vous vers 22 h hier au moment du crime ?
_ J’étais dans ma chambre à regarder la télévision.
_ Que regardiez-vous ?
_ Une émission animalière qui était diffusée sur France 3.
_ Étiez-vous seul ?
_ Oui, comme d’habitude !
_ Quelqu’un peut-il le confirmer ?
_ Qui voulez-vous ? ! Tout le beau monde était en bas à festiner !
_ Vous n’avez eu de contact avec personne ?
_ P’tèt ben.
_ Que voulez-vous dire exactement ?
_ J’étais au téléphone avec mon frère à ce moment-là.
_ Pouvez-vous m’indiquer ses coordonnées ?
_ Pourquoi ? Vous voulez le mêler à cette affaire ?
_ Certainement pas, je veux juste qu’il me confirme vos dires afin de valider votre alibi.
_ Ah ! Dans ce cas. Il s’appelle Rodolphe. Il habite à Plérin et voici son numéro de téléphone, qu’il remit à l’inspecteur.
_ Avez-vous quelque chose d’autre à m’apprendre ?
_ Non, je ne vois pas.
_ Vous êtes sûr que vous ne me cachez rien ?
_ Mais non ! Qu’allez-vous imaginer !
L’inspecteur le fixa droit dans les yeux pour le deviner. Au bout d’une dizaine de secondes, Emilien se sentit mal à l’aise.
_ Arrêtez de me regarder ainsi !
_ Pourquoi êtes-vous de si mauvaise compagnie aujourd’hui ?
_ Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.
_ Hier, vous étiez si accueillant et souriant qu’aujourd’hui je ne vous reconnais pas. Aujourd’hui, vous êtes d’une humeur massacrante. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi ?
_ J’ai dû me lever du pied gauche ce matin !
_ J’espère pour vous que c’est la seule raison ! Sinon, tôt au tard, je le saurai et si j’apprends que ceci est lié à cette affaire, cela ne sera pas bon pour vous. Je vous laisse maintenant. Réfléchissez bien à ce que je viens de vous dire. Il n’est jamais trop tard pour parler. Je vous demanderais de rester à ma disposition car je pense qu’on se reverra très bientôt.
* * *
L’inspecteur le laissa et rejoignit le château. Déjà 17 h ! pensa-t-il. Il se mit à la recherche de madame Vidal car il devait faire son compte-rendu au commissaire vers 19 h. Il parcourut le rez-de-chaussée, sans succès. Il monta à l’étage et frappa à la porte de sa chambre. Elle lui ouvrit.
_ Bonsoir, madame Vidal. Pourriez-vous m’accorder un peu de votre temps afin de répondre à mes questions ?
_ Entrez inspecteur. Vous tombez bien car j’étais dans l’écriture de mon dernier roman et il commence à se faire tard. Par conséquent, vous me servez de prétexte pour y mettre fin. Je vous en prie, entrez et prenez une chaise.
_ J’ai appris que vous êtes une amie de Jeanne.
_ Oui, nous nous connaissons depuis plus de vingt ans. C’est elle qui m’a encouragée à envoyer mes romans à des éditeurs. C’est grâce à elle si aujourd’hui je peux vivre de mes écrits. Je ne l’en remercierais jamais assez.
_ Et Hervé ? Vous le connaissez bien.
_ Oui, un peu. C’est le mari de Jeanne, donc je le vois aussi souvent qu’elle.
_ Vous l’accompagnez souvent à cheval ?
_ De temps en temps car nous aimons tous les deux monter, mais Jeanne appréhende cette activité.
_ Voyiez-vous souvent le docteur Henry ?
_ Non, quelques fois durant des week-ends ?
_ Combien de fois l’avez-vous rencontré cette année ?
_ Je dirais trois fois à peu près.
_ Quand cela ?
_ La première fois, c’était en début janvier pour la nouvelle année ; la deuxième fois, c’était le quinze mars ; la dernière fois, il y a environ un mois - un mois et demi.
_ Pourquoi êtes-vous certaine qu’il s’agit du quinze mars précisément ?
_ C’est facile. J’étais venue fêter la sortie de mon dernier roman au château et …. Sarah s’était tue au milieu de sa phrase.
_ Et … ? insista l’inspecteur Chovay.
_ C’est embarrassant. Je ne sais pas si je peux vous en parler. Cela mettrait mon amie dans une situation délicate.
_ Je suis désolé d’insister, mais nous avons affaire à un meurtre que je compte élucider. J’ai besoin d’avoir le maximum d’informations.
_ En fait, ce jour-là en fin d'après-midi, je lisais un livre dans le petit salon tournée vers les jardins quand sont entrés Jeanne et le docteur. Il ne m’avait pas vue assise dans une des chaises longues. Ils se disputaient.
_ A quel sujet ?
_ Le docteur supplia Jeanne de quitter son mari pour vivre à ses côtés, mais Jeanne refusa en prétextant que c’était trop tôt, qu’elle avait besoin de temps pour trouver le bon moment pour l’annoncer à Hervé. Après quelques minutes, le docteur quitta la pièce en colère et Jeanne se mit à pleurer. Moi, je n’osais pas bouger de ma chaise et me montrer car elle aurait été dans un bien plus grand embarras de savoir qu’une tierce personne fût au courant de sa liaison extra-conjugale.
_ En avez-vous discuté avec elle par la suite ?
_ Oh non. Je ne veux pas me mêler de cela.
_ Savez-vous depuis combien de temps durait leur liaison ?
_ Non, je ne sais que ce que je viens de vous raconter.
_ Pensez-vous qu’Hervé aurait pû être au courant ?
_ Je n’en sais rien du tout. Ce que je peux vous dire, c’est que depuis un mois environ, il semble plus soucieux que d’ordinaire. Hier, par exemple, durant notre balade à cheval, il ne montrait pas la joie de vivre qu’il affiche habituellement. Lorsque je suis partie au galop, il n’a pas essayé de me suivre comme il le fait généralement.
_ S’il avait eu vent de l’infidélité de Jeanne, croyez-vous qu’il aurait pu commettre un geste malveillant envers le docteur ?
_ J’espère bien que non ! Je n’ose l’imaginer. Mais vous êtes son ami, c’est à vous de vous interroger, vous le connaissez sûrement mieux que moi.
_ Avez-vous raconter cette histoire à quelqu’un ?
_ Sûrement pas. Je garde cela pour moi. Si je le faisais, je risquerai de perdre mon amie. Il en est hors de question.
_ Je vous remercie madame. Je vous laisse à présent. Bonne soirée.
_ On se reverra au dîner de ce soir, je présume, inspecteur.
_ Je ne crois pas. J’ai encore beaucoup de travail ce soir. A demain.