Les enquêtes de l'inspecteur Chovay

Un ami d'enfance

Chapitre 7



L’inspecteur se rendit dans sa chambre pour faire le point. Il appela Tournier au téléphone.


_ Allo Michel ?

_ Oui, c’est moi, inspecteur.

_ Quelles sont les nouvelles ?

_ On a reçu le rapport du médecin légiste. Il confirme que le docteur a été poignardé d’un seul coup de couteau, ce qui a instantanément percé le foie et provoqué une mort rapide et certaine. La lame mesure une vingtaine de centimètres. Étant donnée sa position dans le ventre de la victime, le meurtrier se trouvait face à lui. Le légiste ajoute qu’un tel coup porté n’a pu que provoquer un cri atroce du docteur.

_ Ok, j’ai pris note sur mon carnet.

_ Quoi d’autres ?

_ Les empreintes prélevées sur les lieux n’appartiennent qu’aux personnes se trouvant dans le château.

_ Je m’en doutais. Et celles se trouvant sur la poignée de la buanderie ?

_ On n'a trouvé que celles de la comtesse et de Clémence.

_ Donc rien d’extraordinaire.

_ J’ai besoin que tu prennes contact avec un certain Rodolphe qui est le frère d’Emilien. J’ai besoin de savoir ce qu’il faisait vers 22h hier soir, et en particulier, s’il a eu son frère au téléphone. De plus, j'en veux la confirmation en vérifiant leurs appels passés et reçus auprès des opérateurs. Je t’enverrai par SMS ses coordonnées. Je me demande bien ce que peut me cacher Emilien.

_ Pas de problème.

_ Tu vas également te renseigner auprès de la banque pour avoir une idée des dépenses du fils et de la belle-fille du comte. Si le directeur de la banque fait des difficultés, n’hésite pas à contacter le commissaire afin d’obtenir une commission rogatoire. Je dois absolument savoir le niveau de dépenses du couple. Renseigne-toi sur Clémence auprès de l’hôtel Majestica situé à Rennes : je veux savoir combien de temps elle y a passé et si elle leur a donné satisfaction.

_ Ce sera fait.

_ Il me faut tout cela pour demain matin.

_ Pas de soucis.

_ Bon, je te laisse car je dois appeler le commissaire. Cela ne va pas être une mince affaire !

_ A demain, inspecteur.


Il raccrocha et tapota sur son téléphone pour transmettre à Tournier les informations concernant Rodolphe. Maintenant, ce fut au tour du commissaire. L’inspecteur appréhendait cet appel car son supérieur lui avait enjoint de résoudre l’affaire rapidement, mais il n’avait que deux suspects potentiels et aucune preuve. Le mobile de la belle-fille paraissait léger, quoi que par expérience il savait que l'appât du gain pouvait être un bon motif. Quant à Emilien, bien que l’inspecteur eût l’intuition qu’il lui cachait quelque chose, il n’avait pas de raison apparente. Quel lien aurait-il pu avoir avec le docteur ? Beaucoup de questions sans réponse. Bref, il sentait que quelque chose lui échappait dans cette affaire. Mais quoi ?


_ Bonsoir, commissaire Lambert.

_ Ah enfin, lieutenant Chovay ! Vous en avez mis du temps pour me faire votre rapport ! J’espère que vous avez coincé l’assassin !

_ Pour le moment, j’ai interrogé les différents suspects : la belle-fille, madame Vidal et les trois employés de maison. Demain matin, je finirai avec le comte, la comtesse et leur fils.

_ Donc toujours pas de coupable ! Avez-vous au moins un suspect ?

_ J’en ai deux : Sophie de Joncan qui a trouvé le corps sur le lieu du crime. Après vérifications, elle avait le temps nécessaire pour tuer le docteur, puis pousser un cri de terreur simulant la panique. Elle en voulait au docteur d’influencer le comte sur le montant de la rente de son mari.

_ Et le deuxième suspect ?

_ Il s’agit du jardinier. A vrai dire, je ne vois pas en quoi il est mêlé à cette affaire, mais ce dont je suis sûr, c’est qu’il me cache quelque chose.

_ C’est très léger, cela. On ne pourra pas le coffrer avec si peu. Quant à la belle-fille, c’est déjà plus sérieux. Mais cela ne va pas se faire sans ménagement. C'est un membre de la famille. Quand pensez-vous boucler l’affaire ?

_ Je ne peux pas encore m’avancer, commissaire. Je n’ai encore trouvé aucune preuve. Je n’ai que de simples présomptions.

_ J’ai rencontré le préfet à propos de cette histoire. Il est très contrarié par ce qu’il s’est passé chez Hervé de Joncan, une personnalité très influente dans le milieu économique de la région. Il m’a bien fait comprendre qu’il faut arrêter le coupable promptement afin de mettre hors de cause le comte. Aussi, je vous conseille fortement d’arrêter le meurtrier pour demain dernier délai ! Faites fonctionner vos méninges et votre légendaire intuition !

_ Je ferai de mon mieux, monsieur le commissaire.

_ C’est ça. A demain.

_ Passez une bonne soirée.


Le commissaire n’avait pas ménagé l’inspecteur Chovay habitué à son caractère autoritaire et impulsif à la limite de l’agressivité. Lui était le contraire : il prenait son temps pour bien apprécier la situation, s’imprégner de la personnalité des témoins, comprendre le déroulement des faits. Il ne souhaitait qu’une seule chose : arrêter le bon coupable et surtout ne pas faire une erreur judiciaire, ce qui pouvait arriver si les seuls maîtres mots en la matière étaient rapidité et irrationalité. Alors oui, il redoutait un peu le mécontentement prévisible du commissaire, mais cela n’était rien à ses yeux comparé à l’arrestation d’un innocent.


En relisant ses notes, un détail le chiffonna : pourquoi le docteur n’avait-il pas crié en recevant le coup de couteau ? Il s’intéressa à chacune des personnes présentes ce soir-là. Si Sophie était le plus loin du lieu du crime, près de la cuisine, alors peut-être qu’elle ne pouvait rien entendre. La même chose pouvait également être valable pour le comte, la comtesse et Clémence qui étaient à l’étage. Mais il était impensable que le cri du docteur ne pût être audible par lui, présent dans la bibliothèque, et Sarah Vidal, plus proche encore, qu’il avait aperçue dans le hall d’entrée. Pourtant, le rapport du médecin légiste soutint qu’il ne pût en être autrement. Comment se fit-il que personne n’avait rien entendu ? L’inspecteur se représenta encore et encore la scène : le meurtrier, planqué dans l’angle du mur, planta violemment le couteau dans le ventre ... et pas de cri ! ? Pourquoi ? Comment ? … L'étincelle apparut enfin à ses yeux ! “Mais, oui, c’est évident, comment n’y ai-je pas pensé avant ? L’assassin, qui se trouvait face à lui avant de l’assaillir, plaça d'abord sa main sur sa bouche pour l’empêcher de crier.” L’inspecteur avait enfin l’explication de ce silence assourdissant. Quelle force avait dû manifester l’agresseur sur le visage du docteur pour éviter que le moindre son ne se fît entendre ! Cela amena l’inspecteur Chovay à une seule conclusion : le meurtrier n’était pas un amateur. Il s’agit d’une personne ayant vu ou appris la manière de donner la mort. Si tel était le cas, comment un professionnel du crime avait pu atterrir dans cette maison. Un tel profil ne semblait correspondre aucunement à l’une des personnes du château. L’inspecteur ne sut que penser : avait-il mal jugé leur personnalité ou bien … s’était-il tout simplement trompé et une tierce personne extérieure au château en fut l’auteur. Dans cette dernière hypothèse, il était compréhensible qu’on ne découvrit pas d’autres empreintes car elle avait dû porter des gants. Pourquoi un professionnel s’introduirait-il dans l’enceinte de cette demeure, d’autant plus durant les festivités d’un repas entre amis, pour venir assassiner un homme. On ne voyait cela que dans les films. Le docteur s’était-il fourré dans une sale histoire mafieuse ? Plus l’inspecteur réfléchissait, plus l'invraisemblance de ses conclusions lui parut aberrante. Aucune trace à l’extérieur du château ne fut découverte. Il devait à l’évidence faire fausse route. Non, l’assassin se trouvait ici en ces lieux, mais il s’accorda sur le fait que le coupable eut quelques connaissances sur l’art de tuer.


Que le temps passait vite : déjà 22h30. Lors de ses méditations, l'inspecteur ne comptait pas les heures. Comme la faim le guettait, l’inspecteur descendit à la cuisine pour se préparer un petit repas rapide. Il reconnut la maniaquerie d’Isabelle : tout était parfaitement rangé, aucune vaisselle sale ne trainait, certains ustensiles trônaient en hauteur fixés à un clou, les pommes de terre (sûrement pour le lendemain) étaient prêtes et déposées dans un plat sur la table de travail, chaque épice se trouvait dans un pot étiqueté à son nom. Il dut se rendre à l’évidence : la bienveillance d’Isabelle l’avait épargné d’une sévère réprimande le matin-même. Après s’être concocté un casse-croûte, il se dépêcha de ranger, de laver ses couverts et de tout remettre comme il avait trouvé, puis remonta dans sa chambre.


Une heure du matin, tout le monde dormait. Le silence régnait. De temps à autre, le vent soufflait dans l’embrasure d’une fenêtre. Dans la grande bibliothèque, le tic-tac de l’horloge comtoise résonnait jusque dans le hall, mais ne parvenait pas à l’étage. Soudain, un semblant de bruit dans le couloir près des chambres. Serait-ce le chat de la comtesse rôdant à la recherche d’une souris ? Ou bien le vieux parquet craquant sous le poids des décennies ? Ou peut-être ... des pas tentant de passer inaperçus dans la nuit ? Peu importe, l’heure des rêves avait sonné au château pour tout le monde (ou presque).